Une plus grande autonomie de la Flandre ira de pair avec une perte d’influence de la Flandre à Bruxelles. Les francophones doivent préparer leurs ripostes.
Entretien
Olivier Maingain, le président du FDF, n’a nullement l’intention de mettre ses convictions au placard, même après la désignation de Didier Reynders en tant qu’informateur. Démonstration.
La présidente du SP.A, Caroline Gennez affirme que “si le MR vient avec l’élargissement de Bruxelles, Didier Reynders pourra faire ses valises…” Serez-vous celui qui lui offrira des vacances… ?
J’ai croisé samedi soir Mme Gennez au match Anderlecht/Saint-Trond, elle me semblait plus sereine et moins vindicative Mais il faut que, du côté des partis flamands, on comprenne bien que si l’on rouvre un temps de négociation, chaque partenaire a le droit de venir avec ses priorités. De surcroît : s’ils ne veulent pas entendre parler d’élargissement, qu’ils ne parlent pas de scinder BHV. Pour répondre à l’arrêt de la Cour constitutionnelle, il y a bien d’autres solutions que la scission de BHV. Une fois pour toutes, qu’ils sachent que, pour nous, il y a scission quand des communes, a fortiori des communes où il y a une forte présence francophone, quittent l’arrondissement de BHV. C’est cela une scission pure et simple. Si tel est leur schéma, nous sommes en droit de mettre l’élargissement sur la table.
Pourquoi ?
Mais c’est un enjeu essentiel. Tout ce qui renforce la frontière linguistique comme future frontière d’Etat favorise l’évolution vers le séparatisme. L’existence de l’arrondissement BHV est le meilleur frein contre le séparatisme. J’ose croire que Mme Gennez qui n’est pas séparatiste, comprendra cette argumentation.
La note de Johan Vande Lanotte ne prévoit pas de scission pure et simple…
Mais si ! C’est une scission pure et simple, puisque des communes quittent l’arrondissement. Dans cette note, l’arrondissement de Bruxelles est ramené aux dix-neuf communes. Le droit d’inscription, ce n’est pas une compensation. J’entends d’ailleurs que les partis qui négociaient à sept depuis huit mois n’ont jamais marqué leur accord sur le volet BHV de cette note. Quand vous privez les francophones des communes sans facilités du droit de vote avec Bruxelles, vous faites bien une scission de l’arrondissement. Si les mots ont un sens, c’est bien une scission.
N’était-ce pas le cas en 2005 lors du compromis négocié par Guy Verhofstadt sur lequel vous étiez prêt à donner votre accord ?
En 2005, nous avions travaillé de manière beaucoup plus équilibrée. Ne sortaient de l’arrondissement que les communes où la présence francophone était totalement insignifiante. Toutes les autres communes restaient dans le même arrondissement de Bruxelles : non seulement les 6 communes à facilités, mais aussi 16 autres communes sans facilités. Tous les électeurs établis dans ces communes au moment de la loi, pouvaient continuer à voter pour Bruxelles. Et il y avait des compensations autrement plus significatives : la pleine compétence de la Communauté française en périphérie, ce que j’appelais l’élargissement par la Communauté française, il y avait aussi une révision des lois linguistiques à Bruxelles. Tout cela ne se retrouve pas dans la note Vande Lanotte. De plus, le contexte politique a changé. En 2005, nous négocions encore avec des partis qui n’avaient pas comme priorité le séparatisme, l’indépendance, le confédéralisme. Raison de plus aujourd’hui pour être très vigilant.
Est-ce la position de tous les francophones ?
Je vous rappelle que la position de tous les francophones est plus ferme encore. En mars 2007, nous avons signé, Joëlle Milquet, Philippe Moureaux, Jacques Simonet, Christos Doulkeridis et moi-même, une déclaration plus significative encore. Elle disait que toute modification au statut de BHV justifiait qu’on reparle des limites de la Région bruxelloise.
Votre position n’est-elle pas de nature à compliquer la mission de Didier Reynders ?
La tâche de Didier Reynders n’a pas été facilitée par les partis qui ont négocié pendant sept mois - pour autant que l’on puisse appeler cela une négocaition - sans résultat et sans volonté de donner une priorité à d’autres thèmes que l’institutionnel, les problèmes socio-économiques, notamment. La tâche de Didier Reynders sera de voir comment on peut relancer le débat institutionnel. Personne ne croit qu’en 15 jours, il va apporter une solution toute faite. Moi, je ne vais pas culpabiliser parce que certains au Nord du pays considèrent que la scission est acquise et que les compensations doivent être ridiculement insignifiantes.
Sur BHV, faut-il repartir de zéro ?
Que les partis qui ont été associés aux négociations nous disent s’ils se retrouvent dans la note de Johan Vande Lanotte. Foin d’hypocrisie ! Beaucoup me disent qu’ils ne se sentent en rien liés à cette note. Qu’ils le disent ouvertement.
Vous estimez toujours qu’il serait préférable de négocier sans la N-VA ?
Je continue à penser que trouver un accord avec la N-VA est un exercice très improbable. Voilà. Ce parti, malheureusement suivi par d’autres au Nord du pays, a une conception évolutive de la réforme de l’Etat. Pour eux, il n’y a d’accord possible que s’il prépare déjà l’étape suivante vers le séparatisme. Les nationalistes sont logiques et cohérents avec leur position. Mais l’échec de la négociation à sept résulte du fait que les conceptions de l’avenir de l’Etat belge sont à ce point opposées que du côté francophone on ne s’est pas posé la question de savoir ce que l’on opposait à la logique séparatiste ou préséparatiste. Ils sont très peu préparés à cela.
Quelle est votre réponse ? La Fédération Wallonie-Bruxelles ?
Incontestablement. Il faut avoir la volonté de dire clairement aux partis séparatistes et confédéralistes que plus ils veulent de l’autonomie pour la Flandre - mouvement que nous n’arrêterons pas sur le long terme - moins ils peuvent prétendre avoir leur mot à dire sur Bruxelles. Ça, c’est la contrepartie. On ne peut pas avoir la logique d’une Flandre qui marche vers son indépendance et qui emporte dans ses bagages Bruxelles. La distanciation que la Flandre est en train de prendre vis-à-vis de l’Etat belge, c’est aussi par rapport à Bruxelles. Or, il n’y aura pas de cogestion sur Bruxelles, pas de tutelle sur Bruxelles. Bruxelles a le droit d’affirmer sa relation privilégiée avec la Wallonie. De deux choses l’une : ou ils réfléchiront aux conséquences de leurs choix ou ils considéreront qu’une plus grande autonomie pour la Flandre vaut bien une perte d’influence à Bruxelles. C’est un débat qu’ils ont chez eux. Il faut mettre fin à l’hypocrisie des nationalistes flamands qui veulent gagner sur tous les tableaux. Ce n’est pas possible.
Le CD&V estime que s’il y a transfert de matières personnalisables aux Régions, à Bruxelles, elles doivent rester fédérales…
C’est insupportable. C’est une manière de venir faire de la concurrence sociale entre Communautés à Bruxelles. Les Flamands se disent qu’ils auront les moyens d’acheter - je suis un peu cru, mais c’est bien de cela dont il s’agit - une population à revenus plus faibles à qui ils offriront plus d’avantages sociaux, des allocations familiales majorées, par exemple Ainsi, ils pourront faire basculer une population vers une appartenance linguistique qui n’est peut-être pas celle de leur choix. Ce serait le début d’une concurrence sociale intenable. Ce sera le début de la perte de Bruxelles en tant que troisième Région.
Comment éviter cela ?
Je dis aux Flamands : vous n’aurez pas Bruxelles, vous n’aurez pas la périphérie. Moi, je suis très respectueux des droits de la minorité de la population flamande à Bruxelles. Et nous le serons toujours. Je suis partisan de l’application de la Convention cadre sur la protection des minorités nationales au bénéfice des Flamands de Bruxelles. Mais les Flamands doivent savoir qu’ils risquent de perdre l’influence extérieure que la Communauté flamande veut jouer à Bruxelles. Il n’y a plus aucune raison qu’elle vienne encore assumer des compétences sur le territoire de Bruxelles dès lors que la Communauté flamande choisit d’aller vers son autonomie. Les Flamands ne peuvent pas revendiquer une autonomie pour la Flandre et la nier pour Bruxelles.
Si Didier Reynders estime qu’il n’est pas possible de relancer la négociation, pourra-t-on encore éviter des élections ?
Je ne suis pas aussi pessimiste, je pense qu’il est possible de relancer le dialogue. Mais cela prendra du temps. Il faudra se poser les questions les plus franches. Les francophones doivent formuler des réponses claires aux différentes hypothèses qui peuvent se présenter. C’est un travail que l’on doit faire, vite et en toute transparence.
Cette mission confiée à Didier Reynders n’est-elle pas un piège pour le MR ? Désormais, tous les partis auront été “mouillés” dans la négociation…
Aussi longtemps que Didier Reynders pourra faire en sorte que chacun clarifie les objectifs qu’il poursuit, il aura rendu un service au pays.