TUNIS (Reuters) - La religion sera absente de la nouvelle Constitution tunisienne qui accordera en revanche une place importante aux questions des droits de l'homme, de la démocratie et de l'économie de marché, assure le parti islamiste Ennahda qui a remporté les premières élections libres du pays.
Le gouvernement, dont la composition devrait être dévoilée la semaine prochaine, n'introduira pas le principe de la charia ni d'autres principes islamiques susceptibles de rogner sur le caractère laïque de la Constitution en vigueur lorsque l'ancien président Zine ben Ali a été chassé du pouvoir par la rue en janvier.
"Nous ne voulons pas imposer un style de vie particulier", déclare à Reuters le responsable d'Ennahda, Rachid Ghannouchi, exilé à Londres pendant plus de vingt ans.
Depuis la large victoire de son parti réputé modéré aux élections constituantes du 23 octobre, certains soupçonnent Ennahda de vouloir imposer une application stricte des principes religieux à une société tunisienne habituée depuis la décolonisation à un mode de vie libéral.
La première tâche de l'Assemblée nouvellement élue, chargée de rédiger la Constitution, sera donc avant tout de rassurer les Tunisiens et les investisseurs étrangers, indispensables à la relance de l'économie, estiment analystes et observateurs.
Avant même le début des discussions sur la Constitution, tous les partis politiques du pays sont convenus de conserver le premier article de l'actuelle loi fondamentale, qui déclare que l'islam est la religion et l'arabe la langue officielle du pays.
"Il s'agit juste de la description de la réalité", explique Ghannouchi. "Cela n'a aucune implication légale."
"Il n'y aura pas d'autres références à la religion dans la Constitution. Nous voulons accorder la liberté à l'ensemble du pays", poursuit le chef de file d'Ennahda, qui ne jouera aucun rôle dans le nouveau gouvernement. La nouvelle Constitution devrait entrer en vigueur d'ici un an.
AUCUNE PROMOTION DE LA RELIGION
Publiés dans les années 1980-1990, les écrits de Ghannouchi ont inspiré le Parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir en Turquie, qui applique un subtil mélange entre démocratie et islam.
Ghannouchi affirme également que les 22 années passées en exil lui ont permis de constater l'importance de la société civile.
Comme la Turquie, la Tunisie a connu des décennies de dictature laïque avant d'évoluer vers un régime démocratique dans lequel les islamistes modérés se sont imposés dans le paysage politique.
"La loi par elle-même ne change pas la réalité", lance Ghannouchi, interrogé au siège de son parti.
"Il ne devrait pas y avoir de loi qui tente de rendre les gens plus religieux", estime-t-il. Dans la foulée de sa victoire aux élections constituantes, son parti s'est engagé à ne pas interdire l'alcool et les vêtements occidentaux et à poursuivre les politiques économiques en faveur du tourisme, de l'investissement étranger et de l'emploi.
La charia et les lois de l'islam sont un ensemble de valeurs morales individuelles et sociétales et non un code de conduite strict à appliquer au niveau national, dit-il.
"L'Egypte dit que la charia est le principal fondement de sa loi mais cela n'a pas empêché (l'ancien président déchu Hosni) Moubarak de devenir un dictateur."
PROBABLE ACCORD DES LAÏCS
Pour Samir Ben Amor, chef de file du Congrès pour la République (CPR) qui devrait participer au gouvernement de coalition aux côtés d'Ennahda et d'un autre parti laïque, il y a un consensus autour de la référence à l'islam dans le premier article de la constitution.
Ces partis politiques s'accordent également pour renforcer la démocratie en introduisant notamment des références aux conventions internationales des droits de l'homme.
"Nous voulons un régime libéral"", dit Ben Amor.
Alors que les partis s'accordent pour défendre les droits des femmes, parmi les plus avancés du monde arabe, Ben Amor se dit toutefois opposé à l'inscription du Code du statut personnel dans la Constitution.
"Aucune constitution au monde n'a ça", note-t-il. Ces droits seront protégés par la législation, argue-t-il.
Le principal point d'achoppement porte sur le type de régime politique. Ghannouchi a une préférence pour le système parlementaire quand les autres partis politiques soutiennent un système à la française, avec un pouvoir partagé entre un président élu au suffrage universel direct et un parlement.
"Le système parlementaire peut entraîner une instabilité politique, et sortant tout juste d'une dictature, nous pensons que nous ne pouvons pas courir ce risque", explique Ben Amor.
Pour Radouan Mamoudi, directeur du Centre pour l'étude de l'islam et de la démocratie basé à Washington, les élections d'octobre ont montré que le pays avait opté pour une "révolution évolutionnaire" sans changements radicaux.
"Les Tunisiens sont d'accord sur presque tout", note-t-il. "Ils veulent garder leur identité arabe et musulmane sans vivre dans une théocratie. Je pense que la Tunisie peut ouvrir la voie dans le monde arabe en construisant une véritable démocratie pleinement compatible avec l'islam."
Marine Pennetier pour le service français