Dans un entretien exclusif pour la presse francophone, l’archevêque honoraire fait son mea culpa après les “Danneels-Tapes”. Il admet avoir commis une erreur de jugement en ne demandant pas d’emblée la démission de Mgr Vangheluwe.
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Le cardinal Danneels a accepté de revenir pour nos lecteurs sur le difficile été qui fut le sien. Sans chercher d’excuses, il admet qu’il aurait d’abord dû écouter la victime puis demander à Roger Vangheluwe de quitter immédiatement la tête du diocèse de Bruges.
Fin août, vous vous êtes retrouvé, malgré vous, au coeur d’une tempête médiatique avec les Danneels-Tapes, l’enregistrement à votre insu de votre rencontre avec la victime de Mgr Vangheluwe et sa famille. Comment en était-on arrivé là?
Un soir au début du mois d’avril, alors que je rentrais en voiture à Malines, j’ai eu un coup de fil de Mgr Vangheluwe qui m’a confié qu’il avait abusé pendant des années d’un de ses neveux. Je suis tombé à la renverse, très déboussolé par ce que j’apprenais. Je suis resté pratiquement muet, lui ayant simplement dit que c’était extrêmement grave. Quelques jours plus tard, il m’a rappelé en me demandant si j’étais prêt à m’entretenir avec des membres de sa famille. Il avait toujours été proche de moi. Je lui avais donné cours et il était devenu un ami mais je ne lui ai pas répondu immédiatement et ai demandé un temps de réflexion.
C’est Mgr Vangheluwe qui vous a relancé.
Le 8 avril, j’étais allé à l’hôtel de ville de Bruges à l’invitation de l’Okra, la principale association d’aînés de Flandre. Roger Vangheluwe y était aussi et il me demanda si je pouvais rencontrer sa famille l’après-midi même. Puis nous avons été déjeuner chez lui et je lui ai dit que je n’avais pas vraiment envie de voir sa famille parce que je n’étais pas préparé pour cette rencontre. Je lui ai demandé de reporter le rendez-vous mais il m’a dit qu’ils étaient déjà en route. Nous sommes allés à l’abbaye de Steenbrugge où l’on a vu arriver sa famille, quelques minutes après nous. Lorsqu’ils m’ont aperçu, ils ont été très étonnés de me voir plutôt que Mgr Léonard. Je leur ai dit que c’est Mgr Vangheluwe qui m’avait invité à les rencontrer. Je voulais rentrer chez moi mais ai accepté de les écouter. J’ai fait là une énorme erreur d’appréciation: je n’aurais jamais dû accepter l’invitation sans connaître l’objectif de la rencontre. Les seules choses que l’évêque m’ait dites étaient que ses proches voulaient cette rencontre et que cela leur ferait du bien. Mais j’avais un doute: j’avais été son ami et en même temps l’archevêque et il valait mieux ne pas mélanger l’amitié et la relation de pouvoir. J’ai alors demandé de parler en tête-à-tête avec la victime.
La presse a vivement critiqué le début de cet entretien...
Je lui ai dit avec une tournure de phrase typiquement ouest-flandrienne "zeg ne keer". Une façon traditionnelle d’entamer une conversation que d’aucuns ont interprété comme une formule de mépris de la part de quelqu’un en position dominante face à son interlocuteur. Je voulais seulement montrer mon ouverture. Le début de la conversation a pu prêter aussi à une interprétation biaisée parce qu’on n’en a pas vu non plus la gestuelle. C’était aussi une question de ton: le mien n’avait rien d’arrogant en l’espèce. Je lui ai dit que je venais d’être informé des faits. Une imprudence de ma part car je n’en connaissais pas les détails. J’aurais dû le laisser me raconter d’abord son vécu car je ne connaissais pas l’ampleur de ses souffrances intérieures. Je tiens encore à m’en excuser car j’ai manqué là de respect et de compassion même si la famille s’impatientait dans la pièce d’à-côté. J’ignorais évidemment que notre conversation était enregistrée. Quand j’ai rencontré les autres proches, j’ai voulu savoir pourquoi pendant plus d’un quart de siècle, personne n’avait jamais évoqué les abus et estimé devoir contacter la police ou la justice. Je me suis dit alors qu’il y avait sans doute des raisons à cela mais voulais savoir pourquoi ils quittaient maintenant leur mutisme. Je me demandais même s’ils ne souhaitaient pas maintenir ce silence. Comme l’évêque était à un an de la retraite, ne voulaient-ils pas encore retarder l’échéance? Et alors j’ai dit que l’on pouvait demander et obtenir le pardon.
On vous a reproché d’avoir ciblé la victime plutôt que l’auteur...
Je n’ai pas dit cela dans cette optique-là ! Dans mon esprit, Roger Vangheluwe aurait pu demander pardon pour autant que la victime lui accorde le sien. Une personne présente a opiné positivement de la tête. L’on avait gardé si longtemps le silence, le moment était peut-être venu de tourner la page. Et pour la première fois depuis les événements, l’évêque avait imploré le pardon de ses proches. Mais le climat était très tendu: un proche était très opposé à Roger Vangheluwe, d’autres restèrent muets. J’ai mis fin à la conversation et suggéré d’organiser une autre rencontre. J’ai attendu un signal qui n’est cependant jamais venu...
C’est alors que l’affaire est entrée dans le domaine public avec les courriels à tous les diocèses...
Oui, l’évêque a offert sa démission au nonce et à Rome. Pour en revenir à mon contact avec la famille, j’ai voulu les aider sur le plan pastoral; c’est quelque chose qui m’est cher. J’étais plus préoccupé par les divisions au sein de la famille et j’osais espérer qu’elles pouvaient arriver à une réconciliation. C’est pour cela que j’ai parlé du pardon. Mais j’ai fait une erreur en montrant mon bon cœur : j’aurais dû immédiatement inviter Mgr Vangheluwe à présenter sa démission plutôt que de tenter de réconcilier la famille. De toute manière, j’allais proposer cette voie-là si le désaccord persistait dans la famille.
D’une certaine manière, il a voulu vous entraîner dans sa chute...
J’ai été trop bon et trop naïf pour lui dire que je n’entrais pas dans ce jeu-là.
Vous n’avez donc rien su de l’affaire avant avril 2010. D’aucuns ont dit le contraire...
Rien, je n’ai rien su avant l’appel du début d’avril alors que l’on sait maintenant que dès 1986 le frère de l’évêque avait mis ce dernier en garde...
Est-ce que Mgr Vangheluwe reste encore votre ami ?
Il pourrait le rester mais c’est très difficile après que l’on ait abusé de votre confiance et commis de si graves fautes comme l’abus d’un mineur. Je garde un grand cœur et il m’est difficile de dire du mal d’autrui mais quand même...
On vous a aussi reproché de vouloir étouffer les affaires en général...
Je n’ai jamais rien voulu cacher. Quand on me dit que l’Eglise sait s’y prendre pour étouffer les affaires, je pense que comme toute institution, elle a un réflexe d’auto-défense mais je refuse absolument l’accusation que c’est cela qui m’a mû dans cette affaire. Je n’avais d’ailleurs rien à y gagner.
A un moment donné, le Pr Adriaenssens, le président de feu la commission a dit que vous auriez pu faire plus par rapport à une série de dossiers.
Il a parlé d’une cinquantaine de dossiers mais il s’agit d’une bonne trentaine. Cela dit, le nombre exact n’a pas d’importance mais il faut quand même rappeler que si j’ai reçu toute une série de lettres, c’était surtout parce qu’on me voyait toujours comme le chef de l’Eglise belge alors que je n’étais que le responsable de l’archevêché de Malines-Bruxelles. Cela dit, j’examinais toujours avec attention quel diocèse ou quel ordre religieux étaient concernés et je mettais mon point d’honneur à leur transmettre les écrits pour qu’ils agissent. Force m’est d’avouer que certains provinciaux ne donnaient pas suite aux plaintes, n’étant eux-mêmes généralement en place que pendant trop peu de temps. Et donc lorsque les dossiers concernaient Malines-Bruxelles, je les ai traités et fait suivre avec une grande attention. Jusqu’au bout: trois prêtres ont été condamnés.