On avait été un peu surpris, voire dubitatif, lorsque dimanche soir, dans son discours, Jean-Michel Javaux, président d’Ecolo, avait annoncé qu’il prendrait, ce lundi, les contacts nécessaires avec les autres partis. Diable. Cet honneur revient d’ordinaire au premier parti. Or Ecolo, malgré sa très forte progression, n’est premier ni en Wallonie, ni à Bruxelles.
Mais voilà. Pendant qu’au PS, on était tout occupé à préparer la fête (dimanche, on ne l’avait pas prévue), pendant qu’au MR, on s’expliquait entre quatre "z yeux", chez Ecolo, on lançait une première invitation en bonne et due forme... au CDH. Oui, au CDH. Joëlle Milquet n’en demandait pas tant, elle qui du coup, se voyait aspirée dans le camp des grands vainqueurs.
On avait déjà bien senti, pendant la campagne que ces deux-là, d’ordinaire très rivaux, avaient adouci leur langage jusqu’à considérer (Joëlle Milquet) que "le CDH et Ecolo étaient les deux partis du 21e siècle".
Donc, face aux deux Goliath, PS et MR, les deux David, Ecolo et CDH ont choisi de se parler d’abord avant d’entamer des négociations ou de répondre à d’éventuelles négociations. C’est bien joué. Car en s’accordant sur une stratégie commune, Ecolo et CDH volent au PS (en Wallonie) et au MR (à Bruxelles) l’honneur d’entamer les négociations. Car ce sont ces 2 petits, qui détermineront le troisième partenaire gouvernemental: le PS ou le MR.
Pourquoi Jean-Michel Javaux a-t-il pris cette intiative et pourquoi Joëlle Milquet y a-t-elle répondu avec enthousiasme? Non seulement, les deux partis prennent la main, mais cela leur permet aussi d’éviter d’apparaître "scotchés" à l’un des deux grands partis. Les rapports de force dans la future négociations seront plus équilibrés: car à deux, Ecolo et CDH disposent de 27 sièges contre 29 au PS et 20 au MR.
Peut-on déjà dire de quel côté la balance penchera finalement: à gauche ou à droite? En tous les cas, elle penchera du même côté en Wallonie, en Communauté française et en Région bruxelloise. Oui mais encore ?
Il semble évident qu’une négociation avec le MR, dirigé par Didier Reynders, sera délicate, voire vouée à l’échec. Pour le CDH en particulier. Et si le MR tombait entre les mains de Louis Michel ? Certains ont CDH se sont posé la question. Trop tôt pour y répondre.
Donc, à l’heure actuelle et même si le MR semble prêt à faire d’énormes concessions pour être dans la majorité bruxelloise, il semble que la préférence des écologistes et des humanistes soit de tenter de constituer une majorité de type Olivier avec le PS, à tous les niveaux de pouvoir.
Cela dit, ce choix met Ecolo face à un terrible dilemme. Car beaucoup d’électeurs ont, sans conteste, voté Ecolo dans l’espoir qu’il s’allie, in fine avec le MR et CDH et constitue ainsi une "Jamaïcaine’". Car une partie du progrès Ecolo, dans plusieurs endroits, résulte d’un vote anti-PS. Le MR et Ecolo ont été le réceptacle de suffrages anti-PS. Les électeurs Ecolo ne seront sans doute pas ravis de voir que les verts pourraient ramener le PS à la Région wallonne. Certains de ces électeurs en votant Ecolo, ont marqué leur réel désir de voir du changement en Région wallonne. Prendre les mêmes partenaries en ajoutant un peu de vert dans le programme gouvernemental et le Plan Marshall..., il risque d’y avoir des déçus chez les verts.
La difficulté, pour Ecolo, vient du fait que d’autres électeurs ont dû choisir Ecolo pour la raison inverse: sanctionner le PS tout en gardant l’espoir qu’Ecolo constitue quand même une majorité à gauche. C’est bien là une des ambiguïtés du vote Ecolo.
Pour qu’un éventuel ralliement au PS soit quand même accepté par leur base, Ecolo et le CDH devraient pouvoir forcer le PS à changer radicalement. Déjà, dimanche soir, Javaux et Milquet avait avalé de travers lorsqu’ils avaient entendu que Didier Donfut pourrait siéger. La mise au point est venue, sèchement, lundi : Elio Di Rupo a annoncé que Donfut ne ferait pas partie de la prochaine assemblée. Point.
Mais la mise à l’écart de Didier Donfut ne suffira évidemment pas. Il faudra, c’est certain, de vrais changements dans la gouvernance. Et là, il risque d’y avoir du sport dans les négociations. Ainsi, les écologistes plaident toujours pour qu’il y ait un décumul total entre la fonction de parlementaire et celle de bourgmestre ou échevin. Réussiront-ils à faire avaler cette réforme aux autres partis, même au CDH avec lequel Ecolo confronte ses priorités ?
Autre exigence programmatique des verts: la suppression des provinces. Là encore, PS, MR et CDH souhaitent les préserver, avec des intensités variables.
Si les écologistes ne veulent pas être accusés d’avoir capitulé en rase campagne, ils devront combattre pied à pied pour maintenir intactes leurs exigences tout en sachant très bien qu’une alliance nécessite des compromis. C’est à Jean-Michel Javaux qu’il apparatiendra de déterminer les tabous, sans pour autant apparaître comme un ayatollah de la cause environnementale.
Les négociations risquent donc de prendre pas mal de temps, quelques semaines sans doute .
En Flandre, les choses pourraient aller un peu plus vite. Le CD&V peut, clairement, lancer les invitations pour la négociation. La N-VA devrait faire son retour à la table des négociations. En revanche, il n’est pas exclu que le VLD, qui a perdu dimanche un quart de ses électeurs, tire les conclusions immédiates et décide de ne pas participer au prochain gouvernement régional flamand. La question du maintien du VLD au gouvernement fédéral est même posée par certains libéraux, temporairement présidés par Guy Verhofstadt qui, en tant que vice-président, exerce le mandat de Bart Somers qui a tiré les conclusions de la cuisante défaite de son parti.
Le gouvernement fédéral de Herman Van Rompuy va devoir (re)prendre son travail. Des travaux gigantesques et très délicats l’attendent. Le budget 2009, le mix énergétique... mais aussi et surtout les discussions institutionnelles. Car même si la réforme de l’Etat a été totalement absente des débats de campagne électorale, les partis flamands ont tous bizarement décrété, dès le soir des élections, que tel était, à présent la priorité des priorités. Il y a eu, disent-ils, un signal de l’électeur en ce sens, à savoir le triomphe de la N-VA. En Wallonie, on croyait naïvement que Bart De Wever avait été plébicité parce que dans une émission télévisée, il avait failli être "l’homme le plus intelligent au monde"... Si, si.
Les francophones n’ont qu’à bien se tenir. C’est clair, l’automne politique sera chaud.