lundi, 14 septembre 2009
Climat: "Il ne faut pas jouer avec le feu"
Spécialiste de l'évolution du climat, Jean Jouzel martèle l'urgence de réduire nos émissions de CO2. Deux degrés, c'est déjà un changement majeur.
L'accord conclu la semaine dernière pour rendre les services climatiques accessibles à l'ensemble des pays. C'est important ?
L'Organisation météorologique mondiale doit s'intéresser et élargir sa vision, au-delà de la météorologie, aux problèmes de climat et d'adaptation aux changements climatiques. C'était un peu l'objectif. J'ai le sentiment que tous ces problèmes liés au climat vont complètement irriguer le développement au XXIe siècle. Cela va avoir une influence énorme, plus qu'on ne le pense. Je suis sûr que dans 20 ans, les gens viendront nous dire : "Pourquoi ne nous avez-vous pas prévenus ?" Il me semble donc important que l'OMM se prépare à ce nouveau contexte. Il y a un vrai problème sur la perte d'informations. Les observations ont besoin de soutien. Cela coûte cher, mais cela reste un élément très important.
Quelles sont les évolutions remarquables depuis le dernier rapport du Giec ?
Le rapport de 2007 portait essentiellement sur des données datant de 2005. Quelque chose de très spectaculaire que l'on a commencé à voir depuis lors, c'est l'accélération de la diminution des glaces de l'Arctique. Elles sont passées de 7 millions de km2 à pratiquement 5 millions de km2. Et cela s'est maintenu depuis trois ans. Un autre point, c'est le problème de l'élévation du niveau de la mer, lié à la fois à la dilatation de l'océan, mais aussi à la contribution des glaciers continentaux du Groenland ou de l'Antarctique. En gros, les années précédentes, on pensait que le bilan de masse du Groenland et de l'Antarctique était quasiment nul, c'est-à-dire qu'il ne contribuait pas à l'élévation du niveau de la mer. Or, on voit bien ces dernières années qu'il y contribue. Le rapport de 2007 envisage une élévation maximale de 68 cm à la fin du siècle, mais certains scientifiques pensent que cela pourrait aller au-delà d'un mètre. C'est un vrai débat qui n'est pas encore tranché. On verra ce que dit le Giec dans son prochain rapport, mais je continue à penser qu'avec les éléments que l'on avait en 2005 et 2006, on s'est montrés assez prudents. On n'a pas voulu semer la panique sur des choses que l'on ne savait pas encore pleinement évaluer.
D'aucuns s'inquiètent également du méthane (1) que pourraient relâcher le permafrost et les fonds marins ?
Il y a là aussi beaucoup de débats. Il y a beaucoup de choses qui bougent et des projections plus ou moins alarmistes. Mais il ne faut pas aller au-delà de l'inquiétude. Le problème avec le réchauffement, c'est qu'il n'y a pas besoin d'en rajouter.
Avez-vous le sentiment que la prise de conscience et la réaction de la société sont à la mesure de l'urgence ?
Un des grands progrès pour moi est que l'idée qu'il faut essayer de limiter la hausse à 2 degrés par rapport à la période préindustrielle soit passée. Les Européens ont joué un rôle important dans ce sens. Là où cela ne va plus, c'est quand le dernier G20 reconnaît la nécessité de cette limite, mais en oubliant les contraintes que cela impose. A savoir qu'il faut diminuer par quatre les gaz à effet de serre en 2050. On ne peut pas atteindre deux degrés sans engagements sur les réductions. Pour cela, il faut que les émissions mondiales atteignent un pic en 2015 avant de commencer à descendre. Nous avons des capacités d'adaptation, mais il ne faut pas jouer avec le feu. Deux degrés, cela aura déjà des effets considérables. C'est vraiment un climat différent qui induira une vie différente. Au niveau de l'agriculture, c'est quand même un déplacement de 200 à 300 km des zones de végétation. Deux degrés, c'est pratiquement la moitié d'un changement glaciaire-interglaciaire, mais en 100 ans. A cette vitesse, tout a du mal à suivre. Même si on pourra se prémunir partiellement de l'élévation du niveau de la mer, c'est autant de régions où il fait bon vivre qui vont disparaître. Ce que l'on peut viser de mieux actuellement, c'est de limiter le réchauffement à quelque chose auquel on puisse s'adapter pour l'essentiel.
Vous pensez que le sommet de Copenhague va déboucher sur un accord ? Pour l'instant, on bloque toujours sur les mêmes points...
Ma crainte, c'est que l'on aille vers un accord qui ne soit pas un bon accord. Parce qu'on aura alors l'impression d'avoir gagné, mais on ne sera toujours nulle part. Si, en 2015, on en est encore à se dire qu'il faut stabiliser, il arrivera un moment où on va aller à la catastrophe. Il faut que les pays émergents et en développement commencent à être un peu plus vertueux, mais il est évident que l'on ne peut pas leur demander les mêmes efforts. Ceux-ci doivent d'abord venir des pays développés. Je pense que cela peut se faire par effet d'entraînement. Si l'Europe, les Etats-Unis et le Japon tenaient vraiment leurs engagements d'une économie sobre en carbone pour 2050, la Chine et les pays émergents seraient pratiquement obligés de suivre.
A l'approche du sommet, les sceptiques aussi vont se manifester...
C'est normal. Le réchauffement serait un phénomène naturel ? Leur explication de l'influence solaire ne tient pas. Au cours des 200 dernières années, en termes d'énergie reçue par la terre, l'influence de la variabilité naturelle de l'activité solaire représente moins de 10 % de celle due à l'augmentation de l'effet de serre. Autre argument très fort : si c'était l'activité solaire qui gouverne le réchauffement, on devrait s'attendre à un réchauffement à la fois dans les basses et les hautes couches de l'atmosphère, alors que dans le cas de l'effet de serre, on s'attend à un réchauffement en bas et plutôt à un refroidissement en haut. Et c'est bien ce que l'on observe. C'est pour ça que le Giec s'est avancé : il y a une vraie signature. Cela dit, c'est à nous de convaincre. Qu'il y ait des sceptiques, c'est leur droit. Mais je sais qu'en France, dès qu'Allègre parle, il récolte une grande écoute. Ce n'est pas parce qu'ils écoutent le scientifique, c'est parce qu'il dit ce qu'on a envie d'entendre. Même moi. Que l'on peut continuer à faire n'importe quoi et que rien ne va changer. C'est pour ça que le discours des sceptiques recueille facilement de l'audience.
(1) Le méthane est un gaz à effet de serre qui a un pouvoir de réchauffement environ 25 fois supérieur à celui du CO2.
© La Libre Belgique 200909:01 Publié dans Science et Santé | Lien permanent | Commentaires (0) | del.icio.us | Facebook | | |
Les commentaires sont fermés.