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mercredi, 23 juillet 2008

Louis Michel: "J'ai toujours eu très peur de la mort"

La nuit, il a souvent lutté contre le sommeil. De peur que la mort ne le rattrape. Le jour, le libéral est "épicurien", "émotionnel". Coup d'envoi d'une série d'entretiens à bâtons rompus avec des personnalités politiques.
Entretien

Il s'est mis au golf, depuis un an et demi. Et, à présent, il y voit des "perspectives incroyables". "Le golf, confie Louis Michel, m'a permis de me reconstruire mentalement et physiquement. Le golf m'a permis de sortir de cet esclavage politique. Je suis un "workaholic", et le golf m'a montré que je pouvais me passionner pour autre chose que pour la politique. J'ai 60 ans aujourd'hui, dit-il en s'adressant à lui-même, et si j'arrête la politique dans quelques années, qu'est ce que je fais ? Je deviens neurasthénique ? Le golf m'offre des perspectives incroyables".

Il est assis au restaurant du Berlaymont, au treizième étage de ce paquebot vitré, navire amiral servant de siège à la Commission européenne. Il commande (deux croquettes de crevette, un filet de bar et un Chablis bien frappé).

Le commissaire dit avoir découvert le golf par sa femme. "C'est un sport qui est à la fois mental, technique et physique. Le golf exige en permanence une évaluation physique et mentale. Il faut évaluer sensoriellement la distance, choisir un fer. On est toujours face à la tentation de choisir un fer pour aller plus loin. Mais ces fers-là sont les plus difficiles à jouer. Et puis, il y a l'étiquette, le respect entre les joueurs. Je trouve qu'il y a quelque chose de magique là-dedans".

Il y a le golf, donc. Et puis, il y a la moto. Une passion qui lui vient "de tout gosse", "un interdit" : "mes parents, raconte Louis Michel, auraient été beaucoup trop inquiets de me voir sur une moto". "La moto me donne le sentiment physique de liberté. J'ai presque un sentiment fusionnel avec la nature. Quand je suis sur ma moto, j'ai presque l'impression d'être un élément de la nature. Je n'ai pas besoin de la vitesse". Il avertit : "Mais attention, même si ce sont des choppers, la vitesse peut monter très vite. Cela dit, je ne me sens pas grisé par la vitesse. J'aime les balades dans le Sud de la France. J'ai fait les gorges du Verdon, c'était magnifique. Faire quelques

kilomètres, s'arrêter sur une belle petite place, boire un café. J'adore", sourit le libéral.

Les vacances, pour les Michel, c'est dans le Var que ça se passe - là où Louis possède une maison. "J'aime bien l'arrière-pays provençal, près de Draguignan, pointe Michel. Mais je ne passe pas assez de temps avec ma famille ni avec mes amis, regrette-t-il . Le problème de ma vie c'est de ne pas savoir mettre de temps mort. Dire "maintenant j'arrête, je dois voir un tel, hé bien tant pis". Cela s'appelle l'esclavage professionnel. Je crois que la politique est un métier fabuleux à condition qu'on ne la pratique pas comme un manager. Il y a trop de managers en politique. Un manager privilégie la communication au fond. Avec, comme ils disent, un "scoreboard"."

"Je me suis toujours considéré comme un politicien moyennement talentueux. Jusqu'à ma mission d'informateur (en 1999, NdlR) . Cette mission-là m'a révélé aux autres mais surtout à moi-même. C'était une mission d'Etat, d'un ordre supérieur, et je n'avais pas le droit d'y mêler les banalités habituelles".

Il marque une pause. "Je suis un épicurien qui se retient. J'aime bien manger, j'aime bien vivre. Profiter du moment présent". Il nuance : "Je suis un épicurien rationnel, je ressens les choses de manière très émotionnelle, mais au fil du temps, ma raison a domestiqué mes émotions, assure-t-il. J'ai tout le temps envie de dire ce que je pense. Mais ma raison arrive aujourd'hui à me faire peser les mots avant de parler"...

Ça étonne. Lui, Louis Michel, dit avoir été "un énorme timide". "Je suis encore, aujourd'hui, quelqu'un de pudique. Je ne suis plus timide, je me suis soigné. Même à mes débuts en politique, jusqu'à 32 ans, j'étais timide. C'est le pouvoir fascinant du verbe qui m'a libéré. J'en suis convaincu. Le verbe est l'élément principal de la séduction, aucun autre ne surpasse celui-là. Le verbe et le regard aussi. Ce n'est pas la beauté plastique. Cette beauté-là, elle peut attirer, ou repousser. Moi, s'enflamme-t-il, je fonctionne à l'instinct". L'instinct, donc. "Certains fonctionnent à l'instinct sans se rendre compte qu'ils n'en ont pas. L'instinct, c'est d'abord une formidable expérience de la vie. Celui qui s'est pris des baffes, des humiliations, des frustrations. Etre à même de comprendre la souffrance de l'autre permet d'avancer et de compatir".

Il regarde "pas mal" la télévision. Les infos sur TV5 Monde, Arte aussi. Et puis, Louis Michel "adore tout ce qui est films comiques". Et "pas ce qui est compliqué". Il craque pour De Funès : "J'ai tout vu vingt fois", dit-il en mimant une scène où Louis (le comique) joue un curé. Il rit, puis cite "Les tontons flingueurs", Blier, Bourvil et Patrick Dewaere.

Il termine, commande un café. Et met en avant l'une de ses "contradictions profondes". "Je considère les frontières, les nationalismes, les replis sur soi, comme mortifères. En tant qu'homme je suis totalement universaliste. Les frontières servent à savoir d'où on vient, c'est tout". Son arbre généalogique le rattache aux Espagnols. "Je ne vais certainement pas mourir pour une frontière".

Sa contradiction, donc. L'universaliste est "très attaché" à sa région. "J'aurais du mal, et c'est totalement irrationnel chez moi, à m'éloigner de ma région, avoue-t-il. Je suis planté là. Je me demande si je pourrais finir mes jours ailleurs que dans mon Brabant wallon. Je me suis déjà interrogé là-dessus. Je ne sais pas", souffle-t-il.

Et il conclut. "J'ai un problème avec la mort. Je ne dors pas beaucoup. Deux à trois heures par nuit. Pas plus. J'ai cette phobie de la mort et du noir qui m'empêche de m'endormir. Longtemps, je lutte contre le sommeil, longtemps j'ai détesté dormir dans le noir complet. Le noir, c'est la mort. Et donc, j'ai des problèmes avec ça. J'ai du mal à m'imaginer mourir loin de chez moi. Je me dis qu'une mort horrible, ce n'est pas tellement la nature de la mort, mais plutôt mourir loin de chez soi". Comme un sans-frontière-fixe.

Martin buxant

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