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mardi, 11 décembre 2007

Belgique:Le débat politique devient conflit de société

184 jours sans nouveau gouvernement. Stefaan Walgrave, politologue à l'Université d'Anvers, s'inquiète de l'escalade communautaire qui, après avoir jusqu'ici opposé les politiques, remonte aujourd'hui jusqu'aux médias et percole dans la société tout entière.

Stefaan Walgrave, politologue à l'Université d'Anvers et citoyen de Beauvechain, en Brabant wallon, s'inquiète de l'escalade communautaire. Pourfendant la dernière « gaffe » d'Yves Leterme, il n'épargne pas davantage la presse francophone, qualifiée de plus militante, plus agressive, parce que davantage sur la défensive que celle du Nord du pays.

Yves Leterme, lors de ses interviews du week-end, revient sur « Bye Bye Belgium », l'émission-fiction de la RTBF sur la partition du pays. Un des péchés capitaux commis par la chaîne publique, selon l'ex-formateur ?

L'idée selon laquelle la presse francophone est devenue une presse ennemie et hostile s'est instillée dans l'esprit de beaucoup de Flamands, à l'occasion de cette émission. Pour Yves Leterme, elle est un pas de plus dans la détérioration de ses relations avec la presse francophone. En Flandre, elle fut considérée comme une forme irresponsable de journalisme. Les Flamands ont jugé incompréhensible cette crainte francophone de la fin de la Belgique, puisque cette idée ne les effleure pas eux-mêmes.

Yves Leterme n'est pas seul à en vouloir à la presse francophone en Flandre ?

Non, bien sûr : de nombreuses personnalités politiques flamandes ont le même sentiment, celui de médias francophones devenus beaucoup plus militants qu'au Nord du pays.

Mais, quand Yves Leterme ne cesse d'offenser les francophones, parlant de leur incapacité intellectuelle à parler le néerlandais puis s'en prenant à la RTBF et ses journalistes avant de la comparer à Radio Mille Collines, il y a de quoi s'interroger sur ses capacités fédératrices, non ?

Indépendamment des déclarations absolument déplacées d'Yves Leterme, il a, dès le début des négociations, traduit son impression profonde que l'opinion et les partis politiques francophones étaient incités par leurs médias à concéder un minimum et à tout mettre en œuvre afin de limiter la réforme de l'État à une avancée purement symbolique.

Les journaux francophones sont convaincus que des pas complémentaires pour la réforme de l'État constituent une menace pour la prospérité de la Wallonie et de Bruxelles. Les francophones se trouvent dans une position défensive. Et une situation d'inquiétude et le sentiment d'être menacé mènent à des réflexes plus agressifs qu'une position dans laquelle on a le sentiment, comme en Flandre, d'être dominant.

Pour l'opinion publique du Nord du pays, tous les francophones seraient des « Madame Non » ?

On ne fait pas en effet la distinction en Flandre entre la position de Joëlle Milquet et celle des autres personnalités politiques francophones. Là où les malentendus surgissaient auparavant entre les hommes politiques du Nord et du Sud, les crispations se cristallisent aujourd'hui à travers les médias eux-mêmes, jugés irresponsables. C'est une nouvelle et inquiétante escalade dans le conflit. De politique, il s'est mué en conflit de société. C'est la première fois qu'un conflit politique se transforme en conflit médiatique. La polarisation s'accentue. C'est dangereux…

Dans ses colonnes, « Le Soir » n'a jamais caché qu'il prônait aussi une réforme de l'État, en plaidant pour un « big bang institutionnel. »

C'est une position assez récente. Au début des négociations, les points de vue étaient tranchés : les Flamands voulaient une réforme de l'État profonde, les francophones n'en voulaient pas du tout. On constate aujourd'hui, comme le dit Leterme, qu'un long processus de maturation a finalement permis aux francophones de prendre conscience de la nécessité d'une réforme de l'État.

C'était la presse flamande, ces dernières années, qui était plus militante, plus porteuse d'un projet d'identité flamande…

En effet. Peu de médias flamands s'opposent à l'image d'une Flandre sans exigences communautaires. Le seul journal qui se distancie de l'opinion générale, selon laquelle la poursuite de la réforme de l'État est indispensable à la prospérité de la Flandre, c'est De Morgen. Les médias néerlandophones se positionnent de manière plus idéologique que les médias francophones. Ceux-ci, dans leur volonté de conserver l'unité de la Belgique, sont très durs pour Yves Leterme.

Pas moins que ne l'est la presse flamande pour Joëlle Milquet ou Olivier Maingain…

Quand je lis dans Le Soir, en première page « Un poison nommé N-VA », « Maintenant, il nous doit des excuses » dans La Dernière Heure de ce week-end, que Le Vif-l'Express choisit comme récente couverture « les dix mensonges de la Flandre », j'ai tout de même le sentiment que la presse francophone est un peu plus agressive que les médias flamands…

Même quand ils trempent leur plume au vitriol pour Joëlle Milquet… ?

Bien sûr, c'est caricatural, univoque. Ce qui me gêne des deux côtés de la frontière médiatique, c'est qu'il y a si peu de compréhension et d'empathie à l'égard des positions que défendent les personnalités politiques. Que Joëlle Milquet rende les négociations plus difficiles, c'est parfaitement normal. La manière dont fonctionne la N-VA est très démocratique, avec un congrès qui doit approuver les décisions à la majorité des deux tiers. Bart De Wever doit donc présenter un accord substantiel, s'il ne veut pas être éjecté de la présidence. Si l'on traduit sa stratégie en description négative de De Wever comme personnalité, alors il y a un problème. Exactement comme avec Joëlle Milquet…

A-t-on le sentiment en Flandre que la presse francophone diabolise Leterme ?

Sans aucun doute. Dans la plupart des forums des quotidiens flamands, la majorité des lecteurs lui donnent raison, estiment que la presse francophone le caricature. Qu'elle le cherche, traque ses moindres faux pas. C'est l'effet miroir des médias.

Et sa dernière sortie sur la RTBF, Radio Mille Collines ?

C'est grave mais c'est surtout stupide. Je ne comprends pas. Verhofstadt s'est retrouvé sous les caméras pendant une semaine. Leterme voulait-il démontrer qu'il restait le grand homme de la politique belge en commettant cette gaffe de dimension ? C'est plus fort que lui. Après 180 jours de tentatives pour former un gouvernement, des mois de silence pour se retenir de toute déclaration, il a voulu se lâcher, après avoir été déchargé de sa mission. Cela n'a rien de stratégique. En attendant, ses propos ont affaibli aussi sa position en Flandre : ses déclarations sont jugées aussi stupides des deux côtés de la frontière. Tous les journaux flamands sont sur la même longueur d'onde, jugent qu'il devient quasi impossible pour lui d'accéder encore au poste de Premier ministre. Et qu'il vient de gaspiller sa dernière chance d'accéder au 16, rue de la Loi.

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