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mardi, 11 décembre 2007

Belgique:La crise expliquée aux nuls

Et tout « ça » vient d'où ? La crise du jour ne plonge pas seulement ses racines dans le scrutin du 10 juin. Remontons aux sources. Pour bien saisir l'affaire…
Kroll
La rupture – 1999

Bien sûr, nos discordes sont aussi anciennes que le pays (le Mouvement flamand émerge peu après 1830, pour exiger que le néerlandais puisse être parlé dans les tribunaux, dans l'administration, etc.). Mais coupons court. Et posons-nous en 1999.

C'est une année d'élection. Et le scrutin va créer une terrible rupture dans la vie politique : les deux partis chrétiens (le flamand CVP et le francophone PSC) valsent dans l'opposition.

Ce n'était plus arrivé depuis… 42 ans !

Au scrutin, ils se sont effondrés, usés, rongés par leurs conflits internes (c'est surtout vrai au PSC où le conflit Nothomb-Milquet pour la présidence a fait rage pendant trois longues années).

Exit Jean-Luc Dehaene.

Le libéral flamand Guy Verhofstadt fonde un gouvernement « arc-en-ciel » (libéraux-socialistes-écologistes).

Conséquences de l'épisode : en état de choc, les chrétiens vont mettre plusieurs années pour reprendre des couleurs. Le PSC va devoir se rajeunir et se rénover (en 2003, sa présidente Joëlle Milquet rebaptisera le parti en CDH pour Centre démocrate humaniste).

Le CVP, lui aussi, changera de nom (il deviendra le CD&V). Mais surtout, il se radicalise. Désormais dans l'opposition, et en guerre ouverte avec ce Verhofstadt qui a gagné le scrutin, il va durcir le ton sur le plan communautaire pour ne pas laisser le monopole de la cause flamande au Vlaams Blok avec qui il partage les bancs de l'opposition.


Le tournant – 2001

À l'automne 2000, Verhofstadt engage la cinquième réforme de l'État (après celles de 1970, 1980, 1988 et 1992). Celle-ci s'appellera Saint-Polycarpe – en Belgique, on donne aux accords le nom du saint du jour… But de la réforme : refinancer les Communautés (française, flamande et germanophone). Ce sont les francophones qui demandent ceci – exsangue, la Communauté française n'est pas en état de payer son école. Cette demande (pressante) va donner à la Flandre l'occasion d'exiger de nouvelles régionalisations. Les francophones n'étaient pas demandeurs – pour eux, la réforme de l'État de 1992 pouvait être la dernière… Mais ils sont bien obligés de les accepter – sans ça, pas de sous pour l'école.

Pour réformer l'État, pour faire glisser des compétences du fédéral vers les régions, il faut modifier la Constitution et une série de lois spéciales. Et pour faire ceci, il faut l'aval d'au moins 2/3 des députés et sénateurs. Ensemble, à l'époque, libéraux, socialistes et écologistes n'ont pas à ces 2/3. Il leur faut donc l'appui d'élus de l'opposition. Verhofstadt sollicite le PSC et la Volksunie (VU).

La VU est un petit parti séparatiste flamand. En échange de son soutien, elle exigera beaucoup – et l'obtiendra (notamment : elle fera artificiellement gonfler le nombre d'élus flamands au parlement de la Région bruxelloise). En dépit de ceci, la VU hésitera fort (et longtemps) à aider Verhofstadt. Elle finira par le faire, à l'été 2001. Mais ce sera au prix d'une crise interne grave. Après le vote de Polycarpe, la VU éclate en deux. Se créent la N-VA (nationalistes de droite) et Spirit (nationalistes de gauche).

Conséquences de l'épisode : autrefois concentré à la VU, le nationalisme flamand démocratique s'émiette et « contamine » les autres partis (la N-VA s'associera en 2004 avec le CD&V, Spirit ira en cartel avec les socialistes du SP.A tandis que d'autres ex-VU rallieront le VLD ou, même, les écologistes de Groen…).

CD&V, SP.A, VLD et Groen restent attachés au pays mais la dispersion des ex-VU va radicaliser l'ensemble du paysage politique flamand, généralement demandeur, non pas d'une Flandre indépendante, mais d'une Flandre… plus indépendante.

Autre effet de l'épisode : les francophones ne sont désormais plus demandeurs de rien sur le plan institutionnel. Dans l'histoire du pays, c'est « le » tournant.

Jusqu'en 1992, les Wallons étaient, eux aussi, demandeurs d'autonomie régionale. L'intérêt wallon « collait » à l'intérêt flamand. En 2001, les francophones ont dû « subir » une cinquième réforme pour pouvoir sauver leur école. Là, stop. On redoute que l'étape suivante consiste à régionaliser des éléments de la Sécurité sociale (politique de santé, chômage, etc.). Les Wallons seraient alors dans le pétrin : ils n'ont pas les moyens financiers pour ça…


Le pépin BHV- 2002

En 2002, le gouvernement remanie le système électoral. Il élargit la taille des circonscriptions. Celles-ci épouseront désormais le tracé des provinces. On laisse une exception : c'est l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV).

Créé en 1963, cet arrondissement regroupe 54 communes (les 19 de Bruxelles + 35 communes du Brabant flamand). Il est donc à cheval sur deux régions (la Région bruxelloise et la Région flamande). C'est ce qui fait sa singularité – les autres arrondissements sont soit en Flandre, soit en Wallonie. Pourquoi cette singularité ? En 1963, on a observé que beaucoup de francophones vivaient dans ces 35 fameuses communes flamandes. On n'a pas voulu les couper de Bruxelles, majoritairement francophone.

En pratique, c'est quoi, BHV ? Un électeur de Flandre peut voter pour un candidat basé à Bruxelles ; et un électeur de Bruxelles peut voter pour un candidat de Flandre. Cet arrondissement est aussi un arrondissement judiciaire : tout habitant de BHV peut se faire juger dans la langue de son choix. Le hic ? La Flandre s'est toujours battue pour que les territoires régionaux soient « homogènes » (ici, c'est la Flandre, là-bas, c'est Bruxelles…). À cheval sur deux régions, BHV heurte ce principe. Dès 1963, le Nord va donc demander sa scission – cela donnerait : Bruxelles de son côté, Hal-Vilvorde serait rattaché au Brabant flamand.

L'opposition flamande déposera à la Cour d'arbitrage un recours contre la réforme des arrondissements. En 2003, la Cour lui donne raison. Elle observe qu'il y a une anomalie : tous les arrondissements épousent le tracé des provinces, sauf BHV. Elle demande que l'on règle ça (et donne un délai : 2007). Les francophones traduisent : il faut en revenir à l'ancienne découpe des arrondissements. Les Flamands traduisent : il faut scinder BHV. Ce que les francophones refusent. En sommeil depuis des années, BHV devient un sujet brûlant…

RAS… – 2003

Élections fédérales de 2003 : RAS… Sauf ceci : les verts perdent le scrutin et retournent dans l'opposition. CDH et CD&V ne sont pas encore en forme. Verhofstadt fonde donc un gouvernement socialiste-libéral (on dira : « violet ».)

La trahison – 2004

Élections régionales de 2004. Après 5 ans de galère, CDH et CD&V relèvent la tête. Désormais épaulé par la N-VA (le cartel a été bâti en février 2004), le CD&V rentre au gouvernement de la Région flamande. Le CDH rentre dans les exécutifs de la Région wallonne, de la Région bruxelloise et de la Communauté française. À ces trois niveaux, la majorité était PS-MR. Elle devient PS-CDH.

Elio Di Rupo (PS) est content : l'entente est meilleure avec le CDH qu'avec le MR et il est plus facile pour lui de s'allier avec un petit parti plutôt qu'un gros.

Joëlle Milquet (CDH) est contente : elle a ramené son parti au pouvoir. Certes, c'est un demi-pas. Le scrutin était régional et le CDH n'a réinvesti que les régions (lui et le CD&V restent dans l'opposition au fédéral). Mais Milquet est confiante. C'est acquis pour elle et pour Di Rupo : après avoir viré le MR des régions, le scrutin fédéral de 2007 sera l'occasion de sortir le MR du fédéral et d'installer là une majorité rouge-orange.

Le MR se dit trahi par le PS. Sa rancœur à l'égard du PS sera tenace…


Grain de sable – 2005

En septembre 2005, la justice met le nez dans la gestion de Charleroi. Des échevins PS sont dans le collimateur. Débute une saga, entraînant le PS de scandale en scandale – il le payera cash aux élections de 2007.

Autre effet de l'épisode : en donnant de la Wallonie l'image d'une région, non seulement mal gérée (l'économie wallonne sommeille…), mais affairiste, la « saga Charleroi » convaincra bien des électeurs flamands qu'il faut couper les ponts.

Bye-bye ?- 2006

Le 12 décembre 2006, la RTBF diffuse le canular que l'on ne présente plus : la Flandre fait sécession ! L'émission sème l'inquiétude, chez les citoyens francophones. À qui la chaîne publique a présenté une Flandre unanimement séparatiste. Et qui savent ne pas avoir les moyens de vivre sans l'aide de la Flandre.

Pour rassurer l'électorat, PS, MR, CDH et Écolo vont passer la campagne (les fédérales approchent…) à seriner qu'ils ne sont pas demandeurs d'une nouvelle réforme de l'État. Réforme que la Flandre, par réaction, exige avec une fermeté accrue (elle veut des régionalisations, outre, bien sûr, la scission de BHV…). Effet de surenchère, donc. Étant entendu que sur le terrain institutionnel (c'est un effet de son association avec la N-VA), le CD&V se montre plus revendicatif que VLD et SP.A.

En Belgique, les gouvernements fédéraux se composent par « famille » (qui dit CD&V au gouvernement, dit CDH ; qui dit PS, dit SP.A, etc.). En campagne, les adversaires du CDH feront valoir que voter pour lui fera (indirectement) arriver au pouvoir le cartel le plus dur sur le plan institutionnel. Pour se défendre, Milquet raidira son propos, allant jusqu'à jurer que le CDH ne participerait à aucune nouvelle réforme de l'État (MR, PS et Écolo se bornaient, eux, à dire qu'ils ne sont pas « demandeurs »…).

Les rêves brisés – 2007

Le 10 juin, le pays vote. Ce sont les élections fédérales. Comme pressenti, le duo CD&V/N-VA l'emporte au Nord.

L'espoir de Milquet de marier le PS au fédéral vole à l'eau – à cause de Charleroi, le PS s'est écroulé. Et le SP.A, en mauvais état aussi, se promet à l'opposition.

Autre mauvaise nouvelle pour Milquet : son score est moins bon que celui de 2004 – le CDH aura sans doute payé son idylle avec le PS.

En excluant toute idée de tripartite, le MR impose la voie de l'Orange bleue.

Voilà… Tous les éléments de la crise de cette fin novembre sont là.

1. Au sortir d'une campagne dure, et belliqueuse, les partis ont du mal à se dégager des postures d'avant-scrutin.

2. Les tensions entre partis restent très vives – se remettant mal de son échec électoral, le PS accuse le MR d'avoir fait campagne « sur Charleroi ».

3. L'Orange bleue ambitionne d'emboîter le parti flamand le plus radical sur le plan communautaire (le cartel) avec les formations francophones les plus opposées aux revendications flamandes – le CDH et le FDF, l'allié du MR.

4. Échaudée par ce scrutin, qu'elle a perdu et qui lui sert un scénario d'Orange bleue qu'elle n'imaginait pas (et qu'elle n'aime pas), Milquet va aussi méditer son échec électoral (parti trop souple, trop docile, trop porté aux compromis).

La présidente du CDH va, du coup, s'imposer une ligne dont sa formation était assez peu coutumière : la fermeté.

Milquet était « madame non » bien avant les élections.

Au 176e jour de crise, elle en est toujours là…

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