mardi, 18 février 2014
Immigration marocaine et si on se disait tout
Les 50 ans de l’immigration marocaine marchent sur des oeufs.
Trop de non-dits, de susceptibilités qui pourraient dégénérer…
© Image Globe
Pour les quarante ans de la convention belgo-marocaine sur le recrutement de
travailleurs marocains, en 2004, Le Vif/L’Express avait interviewé un jeune
politologue liégeois, chargé d’orchestrer les commémorations officielles:
Hassan Bousetta. À l’époque, il était peu connu. Mais pour les jeunes
progressistes francophones d’origine marocaine, c’était déjà lui l’emblème de
leur génération. Depuis, il a fait comme beaucoup de talents en Communauté
française. Après avoir débrouillé une affaire compliquée relative au culte
musulman (l’organisation d’élections) à la demande de la ministre de la Justice
de l’époque, Laurette Onkelinx (PS), il est entré en politique, devenant
successivement conseiller communal socialiste à Liège, puis sénateur, tout en
conservant sa charge d’enseignant à l’ULg.
Politologue assidu des colloques et de la Fondation Roi Baudouin, il tenait
alors des positions centrées sur le groupe marocain, son sentiment de
victimisation après les attentats du 11 Septembre et son besoin de
reconnaissance « culturelle », c’est-à-dire la prise en compte de son identité
musulmane. « Après les attentats du 11 Septembre, on a voulu se
repositionner en tant que fils de travailleurs, inscrits dans l’histoire socioéconomique
du pays », précise-t-il. Il n’a pas changé de ligne : à côté de
l’insertion par les droits socio-économique, il faut la reconnaissance.
Dix ans plus tard, les envolées lyriques sur le 50e anniversaire de
l’immigration marocaine lui laissent un goût de trop peu. Certes, la société
accepte mieux la diversité de ses membres. Certes, comme lui, les élites
marocaines se sont fondues dans la société, revendiquant sans complexe leur
belgitude. « Mais c’est l’arbre qui cache la forêt, regrette Hassan Bousetta. On
ne parle pas assez des difficultés très sérieuses qui subsistent: discrimination
massive, méfiance à l’égard de l’islam, expulsion de Marocains, départ des
jeunes combattants en Syrie… La communauté est débordée par ceux qui
prétendent détenir le monopole du « vrai islam » et en même temps, elle a
besoin d’être reconnue dans son identité religieuse. Quant au Maroc, ses
retards de développement et ses difficultés avec les droits de l’homme restent
préoccupants. » Le discours d’autocélébration tombe donc à côté de la plaque.
Prises entre deux radicalismes, les autorités ne veulent surtout pas rallumer
les sujets qui fâchent, à l’instar de la Ville de Verviers qui fête ses immigrés,
mais qui a relégué en sous-titre le « Bienvenue en Belgique » qui devait faire
la Une.
Non, toutes les choses ne se déroulent pas merveilleusement au sein de la
communauté marocaine et en dehors de celle-ci. Les discriminations élèvent
un mur derrière lequel beaucoup de Marocains se replient. Les torts ne sont
pas d’un seul côté. Les autorités belges, qui se distinguaient par la pseudogénérosité
de leurs politiques d’accueil, ont raté le principal : donner une
formation et un emploi à tous. Aujourd’hui, elles rament, malgré les restrictions
à l’asile et au regroupement familial qui, quoi qu’en disent les clichés faciles
sur les « emplois dont les Belges ne voulaient plus », a été le principal vecteur
de l’immigration marocaine. Cela n’enlève rien au courage de ceux qui, en
1964 et plus tard, ont fait leur vie en Belgique avec énergie et créativité,
brûlant, comme tout migrant, de « rendre » quelque chose de positif...
Si les 50 ans de l’immigration marocaine devaient porter un projet à dix ans,
ce serait, pour Hassan Bousetta, dans le domaine des arts, de la culture, des
sciences et des techniques. « Je crois aux petites initiatives qui rapprochent
les deux bords de la Méditerranée », dit-il. Moins de discours, mais des actes
sous le sceau de la réciprocité.
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