dimanche, 28 juin 2009
"Je connais mieux le néerlandais que le turc"
Sous le foulard, Mahinur Özdemir révèle une jeune Bruxelloise émancipée. Le jeune députée veut juste que l'on respecte son choix de le porter.
Un débat sérieux doit être mené
On ne présente plus Mahinur Özdemir : toutes les télés du monde, ou presque, s’en sont chargées cette semaine lors de sa prestation de serment comme députée CDH au Parlement de la Région bruxelloise. Entretien.
Les médias se sont déplacés en nombre pour immortaliser votre prestation de serment. Cette célébrité vous a fait quoi ?
C’est un monde tout nouveau. Je ne m’attendais pas à ce que cela suscite autant d’attention. Pour moi, c’était un non-événement. Quand j’ai prêté serment au conseil communal de Schaerbeek, il y a trois ans, je n’ai pas fait la "Une" des journaux. Or, c’est quand même la sixième commune du Royaume, et la deuxième de Bruxelles. Mais j’essaie de vivre la chose positivement. Parce que j’ai une approche positive de la vie en général.
Certains hommes ou femmes politiques recherchent la présence des caméras. Vous, cela vous a dérangé ? Ou cela vous a plu ?
J’ai senti quelques jalousies chez certains à qui j’ai peut-être un peu volé la vedette. Mais moi, sincèrement, ce jour-là, je suis passée au travers de cela.
En Turquie, le pays de vos racines, les femmes parlementaires ne portent pas le voile. Quel est votre vision de la laïcité de l'Etat ?
Moi, je suis Belge, issue de la troisième génération. Je me sens Belge. Ma langue maternelle, c’est le français. A la maison, c’est la langue que l’on parle. Je connais même mieux le néerlandais que le turc. Imaginez une jeune femme de 26 ans, licenciée en administration publique à l’ULB, qui a réalisé un mémoire sur les contrats de quartier dans sa commune - Schaerbeek - et qui s’est rendue compte à cette occasion de l’importance de la politique locale pour les citoyens. Imaginez cette jeune fille qui, comme les élections communales s’annonçaient, analyse les programmes des partis politiques et se demande pourquoi ne pas aussi être membre de l’un d’eux. Imaginez cette jeune fille qui participe activement au comité de section CDH de sa commune et à qui on propose d’être sur la liste communale. Cette jeune fille qui a des idées et des projets s’engage et est élue à 23 ans. Depuis, elle donne des cours en citoyenneté sur l’histoire de la Belgique pour "Bruxelles Formation". Elle travaille également activement au sein du conseil communal à Schaerbeek. Son parti lui demande alors de figurer sur la liste régionale. Cette jeune fille accepte et elle est élue. Cette jeune fille s’appelle Mahinur Özdemir et elle a 26 ans. Si elle s’était appelée disons Viviane, est-ce que cela aurait causé autant de remous ?
Ce n'est pas celle qui porte le voile qui pose question. C'est le voile lui-même. Pourquoi le portez-vous ? Par conviction religieuse ? Vous a-t-on forcé à le mettre ?
Entre parenthèses, je parlerai de foulard et pas de voile. C’est une conviction religieuse. Et je l’assume. J’ai commencé à porter le foulard vers 14-15 ans. Ma famille est une famille démocrate. Mes parents se sont même inquiétés de mon choix. Ils se sont dit que je pourrais avoir quelques ennuis parce que les Turcs sont plutôt des laïques. Ma grand-mère y était d’ailleurs fort opposée. Ma sœur ne le porte pas. Mes tantes ne le portent pas. Il n’y a vraiment pas de quoi polémiquer. Je ne ressens sa présence que quand les autres m’interrogent là-dessus.
Est-ce que l'islam prescrit le port du foulard ?
Je ne suis pas théologienne. Dans ma conviction personnelle, j’ai décidé un jour de le porter. Je demande juste qu’on respecte ce choix.
Le voile est parfois présenté comme un signe de la domination des hommes sur les femmes.
Pas pour moi. Je suis tout aussi opposée au fait d’obliger quelqu’un à le porter que d’obliger quelqu’un à l’enlever. Le foulard ne peut être porté que par choix individuel, librement consenti. Je voudrais qu’on sorte de cette peur. Je n’ai jamais demandé qu’on autorise le voile partout. Je demande juste qu’on me respecte et qu’on prenne connaissance de mes idées avant de s’arrêter à ce voile. Moi, je porte un foulard. Mais certains ont un voile de préjugés. Ils se voilent les yeux. Car moi, je suis un exemple d’émancipation.
Il représente quoi le foulard pour vous ?
Il fait partie de mon identité. C’est une question de pudeur. Certains me trouvent d’ailleurs très élégante avec mon foulard. Je suis un peu choquée de devoir toujours me justifier pour cela. On ne demande pas tout le temps à Elio Di Rupo pourquoi il porte un nœud papillon rouge.
Elio Di Rupo enlève parfois son nœud papillon...
J’enlève mon foulard chez moi.
Mais pas à l'extérieur...
Je montre que je suis de confession musulmane. Mais je ne fais pas de prosélytisme.
En France, il y a un débat sur la burqua. Vous en pensez quoi de la burqua ?
Pour moi, les usagers des espaces publics doivent pouvoir être identifiés.
Vous n'avez pas l'impression d'avoir été instrumentalisée par le CDH, pour aller chercher des voix dans la communauté turco-musulmane ?
Je pense que le parti a perdu plus de voix qu’il en a gagnées grâce à ma présence. Joëlle Milquet a pris un risque en me mettant sur les listes. Un risque de perdre des voix en dehors de Bruxelles.
Pourquoi vous êtes-vous engagée au CDH ?
A l’université, j’ai pris le temps de lire les programmes. Et là, je suis tombée sur la charte de l’humanisme. Je me suis dit : "Oui, c’est cela qui me convient." C’est placer l’humain au centre, quelles que soient ses convictions, ses valeurs. C’était le message dans lequel moi, Belge d’origine immigrée, je me retrouvais. Un grand nombre de jeunes ne s’intéressent pas à la politique. On me dit : "Qu’est-ce que tu t’en fous, de la politique !" Mais non. Il faut prendre l’avenir en main. La politique, ce n’est pas une affaire de vieux. C’est une affaire de citoyens.
Comprenez-vous ceux qui disent que l'expression des appartenances religieuses doit être confinée à la sphère privée ?
Quand on m’a proposé de figurer sur une liste du CDH en 2005, j’ai demandé si cela supposait qu’à un moment je devrais enlever mon foulard. On m’a alors répondu qu’aucun règlement n’impose cela. On m’a aussi dit que l’on accordait avant tout de l’importance à mes idées. Et qu’il fallait donc que je sorte de la victimisation. Je porte le foulard, donc je ne pourrais pas faire de la politique ? Je ne pourrais pas travailler ? C’est vraiment marginaliser les gens.
La crainte, c'est qu'un jour s'impose un parti islamique radical...
Ce genre de partis existe déjà. Mais je ne me reconnais pas dans leur programme. Je passe par la démocratie.
Il y a eu des pressions ?
Il y a eu des gens qui disaient qu’il ne fallait pas voter pour moi parce que j’étais dans un parti chrétien, un parti de "mécréants". Moi, je suis contre toute forme d’extrémisme et de radicalisme. Vous savez, j’aurais pu rester chez moi, me marier à 18 ans et dire que la Belgique ne m’acceptera de toute façon jamais. Eh bien, non. Je suis une citoyenne responsable qui a décidé un jour de prendre la parole au nom de l’intérêt général.
Le député MR, Denis Ducarme, estime que la présence du voile dans un parlement est une atteinte à la neutralité de l'Etat...
J’invite Denis Ducarme à venir parler avec moi. Nous verrons lequel de nous deux pense le plus à l’intérêt général compte tenu de la sociologie bruxelloise. Mais, sincèrement, est-ce vraiment le débat du jour ? Ne faudrait-il pas plutôt parler de solutions pour sortir de la crise ?
La cohabitation entre les communautés, c'est quand même un dossier important. Faut-il, oui ou non, interdir dans l'espace public la présence d'insignes religieux ?
En Grande-Bretagne, ce débat ne se pose même plus. Là-bas, des femmes portant le foulard peuvent tenir un guichet sans provoquer un long débat public. Ici, il y a toujours une peur de l’autre. Le débat sur le foulard me surpasse. Ce n’est pas à moi à en parler. Un débat serein doit être mené là-dessus. Dans le cadre des assises de l’interculturalité qui seront menées prochainement avec Joëlle Milquet (Ndlr: en sa qualité de ministre de l’Egalité des chances).
Que pensez-vous de l'appel de cet imam qui a conseillé aux élèves musulmans de quitter une école anversoise parce qu'elle a décidé d'interdire le foulard ?
C’est un appel irresponsable. Parce que l’enseignement est un droit fondamental. Le débat du foulard à l’école doit être envisagé sereinement. On doit voir quelles réponses donner pour apaiser cette tension. Il faut créer un cadre de vie où tout le monde se sent en paix.
Le jour de votre prestation de serment, on vous a accusée de nier le génocide arménien. C'est le cas ?
Je refuse d’être traitée de négationniste. Je suis membre d’un parti qui a une position claire là-dessus. Et je n’ai pas à la remettre en question. Moi, j’aimerais qu’on me demande d’abord quel est mon programme.
Etes-vous pour ou contre le créationisme ?
C’est une question qui me dépasse. La théorie de l’évolution est enseignée à l’école. Et cela ne me pose aucun problème. Mais les gens peuvent y croire ou pas.
Quels dossiers allez-vous porter au parlement bruxellois ?
L’emploi. Je donne des formations à la citoyenneté, à des gens qui se destinent à être chauffeur de poids lourds. C’est un métier en pénurie. Malgré la crise. Il faut revaloriser la formation qualifiante.
Etes-vous davantage sensibilisée par les discriminations à l'embauche ?
Je connais plein de gens d’origine étrangère qui se disent discriminés sur la seule base de leur nom. Le CDH prône l’usage du CV anonyme, par exemple. D’autre part, je pense que les examens du Selor devraient être régionalisés pour mieux coller aux besoins réels de la population. Dans les administrations publiques, à Bruxelles, il y a beaucoup plus de Flamands que de francophones. Cela frustre les gens.
Faut-il assouplir les exigences linguistiques dans la fonction publique ?
Au niveau du Selor, il faut, en tout cas, l’adapter à la réalité sociologique de Bruxelles. Je ne vois pas pourquoi une technicienne de surface doit connaître le néerlandais ou l’anglais comme un cadre supérieur.
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