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mardi, 13 janvier 2009

ENTRETIEN AVEC…Moustapha DIAKHATE, membre du Comité directeur du Pds

«Le retour de Idrissa Seck au Pds est une farce grossière» taph_diakhate.jpg

Moustapha Diakhaté, qui a récemment démissionné de son poste d’inspecteur général du Parti démocratique sénégalais (Pds), a un langage crû. Sans détour, il se prononce sur les questions brûlantes de l’actualité politique dont les retrouvailles, hier, entre le Président Wade et Idrissa Seck. Il estime que ce sont des «familles de prédateurs» qui se sont retrouvées à travers «une farce grossière».

Vous avez démissionné de votre poste d’inspecteur général du Pds. Pouvez-vous revenir sur les raisons de votre démission ?
Effectivement, j’ai rendu ma démission depuis le 5 janvier 2009 pour trois raisons. Premièrement, j’ai été nommé le 9 juin 2008 et le 13 (juin), j’ai écrit au frère secrétaire général national pour lui proposer un schéma organisationnel, méthodologique et une équipe pour prendre en charge l’inspection générale du parti. Alors, du 13 juin au 2 janvier 2009, je n’ai pas eu de réponse de sa part ; même pas un accusé de réception. Entre temps, je lui ai écrit à nouveau pour lui demander de me recevoir en audience pour qu’on échange sur la question. De mon point de vue, pour que l’inspection soit efficace, ça ne saurait être l’affaire d’une seule personne. Deuxièmement, il faut avoir des bases juridiques pour faire ce travail, une décision du secrétaire national qui puisse nous conférer un statut dans le parti à l’égard des responsables et des militants du parti. Cela va nous permettre d’interroger chaque responsable et chaque militant sur le fonctionnement du parti. J’ai constaté que je n’avais pas les moyens juridiques et humains, encore moins les moyens matériels pour m’acquitter correctement de cette tâche. J’avais même pensé que cette affaire n’intéressait plus le secrétaire général national. Curieusement, le 2 janvier, il m’a interpellé sur les renouvellements et les investitures. Je lui ai fais savoir que, par rapport à l’inspection, je lui ai envoyé un courrier qui est resté sans suite et qu’en réalité, je n’avais pas fait grand chose. Il m’a répondu qu’on est en train d’enquêter sur les personnes que je lui ai proposées. Ça paraît curieux parce que, 7 mois pour enquêter sur une vingtaine de personnes qui sont connues, ça me laisse dubitatif. Ce qui a fait déborder le vase, c’est le placement des cartes et les investitures. Sur le placement des cartes, j’ai constaté un désaccord sur le fond avec le secrétaire général national. J’ai constaté des anomalies graves : la Direction des structures a eu à vendre des dizaines de milliers de cartes uniquement à des responsables. Un responsable donne 1 million contre 10 000 cartes, un autre, 2 millions, etc. Cela ne correspond pas aux dispositions statutaires, encore moins aux pratiques politiques du Pds. Ce qui se fait de tout temps, c’est qu’à chaque fois qu’on engage le processus de placement des cartes, on met en place une équipe avec des superviseurs et un commissaire qui se rendent sur la localité, convoquent l’Assemblée générale du parti de la section et de la fédération. On met une commission de placement des cartes qui est dirigée par le commissaire. C’est ce commissaire qui met à la disposition de tout militant qui souhaite monter un secteur, 100 cartes. Le militant, lui, va sur le terrain, vend les cartes et revient avec la liste des membres de son secteur mentionnant nom, prénom, numéro carte d’identité, etc. On vérifie que les personnes existent effectivement, c’est à ce moment que c’est validé, et on le programme pour monter son secteur. C’est ça la procédure statutaire du Pds. Mais, malheureusement, des responsables sont allés à la Permanence du Pds pour acheter directement les cartes. Non seulement, il y a eu violation des dispositions statutaires et réglementaires, mais, ça risque de faire émerger des tendances dans le parti. Celui qui a 1 million pour acheter 10 000 cartes, les militants à qui il va les remettre ne sont pas du Pds, mais ses militants à lui. Ça pose un problème d’éthique face à celui qui est dépourvu de moyens pour acheter 10 000 cartes. C’est une manière d’encourager la corruption. Je lui ai fait des observations en ce sens, je lui ai expliqué les dangers que cela représente. Mais, lui (Me Wade), manifestement, a pris fait et cause pour la Direction des structures. Donc, il est d’accord pour le schéma. Un autre désaccord est lié aux investitures. Qu’est-ce qui s’est passé ? On a mis en place des Commissions d’investitures qui sont essentiellement composées et dirigées par des responsables intéressés par leurs propres investitures. Je ne vois pas comment quelqu’un peut superviser sa propre investiture. Les superviseurs doivent être des gens qui n’ont pas d’intérêts directs par rapport à la localité où ils officient. Par rapport à cette question, il a également pris fait et cause pour la Direction des structures des élections. Constatant que la Direction du parti avait validé des pratiques qui sont aux antipodes de nos dispositions statutaires, j’en ai déduit que je n’étais pas un inspecteur utile. En plus, je ne peux pas être responsable d’une situation que je n’ai pas créée. Pour la postérité, je ne veux pas que les gens, constatant des anomalies graves dans le Parti démocratique sénégalais, puissent dire que c’est Moustapha Diakhaté qui était inspecteur du Parti. Je me suis suffisamment sacrifié pour être un peu crédible aux yeux des Sénégalais et des militants de ce parti. Pour rien au monde, je n’accepterai de vendanger cette crédibilité que j’ai eu à obtenir au bout de beaucoup de sacrifices et de renoncements. Voilà les raisons qui ont fait que je ne sentais plus le titre, j’ai préféré y renoncer et me consacrer à Taxawu Sopi (un courant idéologique) dont je suis animateur, et ensuite aux élections locales.
Pensez-vous pouvoir faire grand chose dans le parti avec votre courant
Absolument. Je ne cherche pas à tirer la gloire sur moi, mais depuis 2001, j’ai réussi à occuper un certain espace, si minime soit-il, dans l’arène politique sénégalaise. Avec Wacco ak alternance, hier, avec Taxawu Sopi, aujourd’hui, nous avons eu un comportement qui, bon an mal an, a fait bouger les lignes. Notre légitimité, nous n’avons pas à la chercher en étant dans les structures du parti. Nous devons la chercher par rapport à notre propre valeur ajoutée, par rapport au débat politique sur le Pds, le système démocratique, en général. Malheureusement au Sénégal, on apprécie les gains politiques aux nominations, aux fonctions et aux prébendes. L’histoire retiendra, tant soit peu, que nous avons été pour quelque chose dans les débats politiques.
Connaissant votre secrétaire général national, êtes-vous surpris par son attitude ?
Je ne suis pas du tout surpris par cette situation, mais je suis un homme assez optimiste. Il ne faut jamais désespérer d’un homme, il est toujours possible que la personne se ressaisisse et se rende compte que la voie qu’elle a emprunté peut la mener à l’abattoir. Quand il (Wade) m’a appelé, il m’a dit une chose importante : «Je veux que vous soyez à mes côtés, parce que vous êtes un homme de vérité.» Quand on m’invite pour dire la vérité où que ce soit, je réponds présent pour la simple raison que, depuis 1974, le Pds a toujours été le parti de et pour Abdoulaye Wade. Il est arrivé, à la limite même, à se substituer, aussi bien au statut, au règlement intérieur, au programme fondamental pour faire du Pds un parti-homme. Devant une telle situation, il est très difficile de faire bouger les lignes. Abdoulaye Wade a le souci de laisser, quand même, à la postérité une formation politique qui puisse perpétuer son héritage et il veut éviter que le Pds ne connaisse le même sort que le Rda de feu Houphouët Boigny.
A un moment donné, ne vous êtes-vous pas senti piégé pour vous faire taire ?
Honnêtement, je sentais qu’il y a un piège. Je ne pense pas que Abdoulaye Wade cherche à me piéger, mais il y avait ce risque, en ce sens qu’il m’était difficile, en même temps, étant responsable du parti, membre du Comité directeur de débattre sur la place publique des problèmes internes du parti. Et vous constaterez, comme l’opinion de manière générale, que sur les questions du parti, depuis pratiquement six mois, je ne me suis pas prononcé publiquement. Je suis suffisamment armé et, par la grâce de Dieu, je sais déjouer des pièges. Ce que je dis peut gêner certains responsables du Pds qui, eux, sont arrivés au sommet du fait de la situation informelle du parti, de la gestion personnelle du secrétaire général national. Mais, les milliers de militants, qui se sont toujours sacrifiés pour faire du Pds ce qu’il est aujourd’hui, sont sur la même longueur d’onde que moi. Ils sont conscients que le parti traverse un moment difficile, qu’il ne joue pas pleinement son rôle dans la situation actuelle du pays. Ils veulent certainement qu’on change de trajectoire et qu’on offre un nouvel horizon, beaucoup plus reluisant. Ce qui m’intéresse, ce sont les militants du Pds et non pas les responsables plus préoccupés par la gestion et la conservation des prébendes qu’ils détiennent.
C’est la seconde fois que vous démissionnez de votre poste. La première fois, c’était en tant que chargé de mission à la Présidence. A la longue, cela ne risque-t-il pas de ternir votre image ?
Absolument. C’est la deuxième fois et la dernière. Désormais, je n’accepterai plus n’importe quelle proposition. Pour autant, que cela ne nuit pas à mon image, je ne démissionne pas parce qu’on ne m’a pas donné de l’argent, mais, parce que, sur certaines questions, je constate des désaccords avec ceux qui m’ont confié des fonctions. Le Sénégal se porterait mieux, si les hommes politiques apprenaient à démissionner s’ils sentent qu’ils ne servent plus à rien. Malheureusement, les gens, même s’ils ne servent plus à rien, préfèrent passer la journée dans leur bureau à lire des journaux. Les fonctions, on doit les accomplir ; il faut les réaliser. Si ce n’est pas le cas, mieux vaut partir et faire autre chose.
Quelle analyse faites-vous du retour de Idrissa Seck au Pds ?
Ce retour de Idrissa Seck au Pds est une farce grossière. C’est une véritable insulte à l’intelligence des Sénégalais. Je me pose encore des questions : comment Abdoulaye Wade et Idrissa Seck peuvent-ils se regarder les yeux dans les yeux, en dépit de tout ce qu’ils nous ont dit, tout ce qu’ils se sont dit ? Je me rappelle, après l’élection présidentielle de 2007, Abdoulaye Wade a dit à la télévision nationale que Idrissa Seck avait subtilisé une quarantaine de milliards qu’il avait gardé dans des banques étrangères. Je voudrais lui demander : quelle est l’origine de cet argent ? Idrissa l’a-t-il rapatrié ? Si c’est le cas, qu’est-ce que Abdoulaye Wade compte en faire ? Ce sont des questions que tous les Sénégalais doivent poser au président de la République et à Idrissa Seck. Ces deux hommes ont fini de décrédibiliser la politique. C’est devenu un jeu, alors que la politique est une affaire sérieuse. C’est à la politique que se construit un pays. Tout le combat que nous avons mené, tous les credo pour lesquels nous nous sommes battus sont aujourd’hui piétinés par Abdoulaye Wade et Idrissa Seck. C’est une insulte au peuple sénégalais, au premier rang duquel les militants du Pds qui les ont suivis. Ils pensaient que ces gens menaient un combat pour des causes justes. Or, ce qui les intéresse, c’est d’accéder au pouvoir et partager les prébendes.
Est-ce que ces retrouvailles ne posent pas, quelque part, un problème dans la mesure où la Justice n’a pas totalement blanchi Idrissa Seck concernant les Chantiers de Thiès ?
Mais ça n’étonne personne ! Comme je l’ai souvent dit, au Sénégal, nous assistons à un hyper absolutisme de Abdoulaye Wade. Les institutions parlementaires et judiciaires sont des vassales du président de la République. Pour lui, l’essentiel est que ces institutions lui donnent les moyens de mettre en œuvre ses actions. Vous pouvez vous attendre, ces prochains jours, à un projet de loi ou une proposition de loi qui amnistie totalement Idrissa Seck. Mais, il peut être blanchi du point de vue politique, juridique, mais moralement, lorsque les Sénégalais les regarderont (Wade et Idy), ils sauront que ces gens ont porté beaucoup de tort à ce pays.
Selon la presse, Idrissa Seck serait demandeur pour ces retrouvailles. Si cela est vrai, qu’est-ce qui expliquerait le retour de Idy au Pds à quelques semaines des prochaines joutes locales ?
Idrissa Seck a toujours voulu retourner au Pds. Il a l’obsession du Pds. Tout ce qu’il souhaite, c’est, avant de mourir, de porter le titre de secrétaire général national du Pds. Par rapport à cet objectif, Idrissa Seck est prêt à toutes les contorsions, à toutes les compromissions. Maintenant, qu’est-ce qui doit l’expliquer ? Il y a plusieurs facteurs. Quand on regarde aujourd’hui la configuration de l’espace politique sénégalais, il est évident que Idrissa Seck ne peut pas trouver d’allié qu’auprès de Abdoulaye Wade. Une bonne partie de l’espace politique est occupée par la coalition Bennoo Siggil Senegaal. J’ai l’impression que la démission de Macky Sall a brouillé le schéma de Idrissa Seck. Aujourd’hui, à la surprise de beaucoup d’observateurs, Macky Sall et son parti Apr/Yaakaar se sont bien comportés. Qu’on le veuille ou non, il y a une forte saignée du Pds vers Apr/Yaakaar. L’autre facteur explicatif, c’est que le personnel politique que Wade a choisi pour diriger le parti s’est montré incompétent, incapable d’arrêter cette hémorragie. Par contre, le discours du genre : «C’est à sa demande», ça franchement c’est encore une supercherie qu’on nous a envoyée pour nous faire croire que Wade n’est pas demandeur. En fait, ils ont mutuellement besoin de se retrouver. D’ailleurs, ce n’est pas des retrouvailles de la famille libérale, mais celles de familles de prédateurs. Ce qu’ils (Wade et Idy) se sont dit en matière d’argent, tant qu’ils ne me donneront pas des réponses claires et précises, je considère qu’ils ont trouvé un compromis par rapport à l’argent du Sénégal.
Après tout ce qui s’est passé, quant sera-t-il de l’intégration de Idrissa Seck au Pds ?
Le Pds, c’est Abdoulaye Wade. Sa volonté est celle des autres. Ça ne posera pas de problème, en ce qui concerne les responsables. Par contre, les militants qui sont encore sains, eux, doivent avoir beaucoup de chagrin. Le secrétaire général de leur parti est en train d’offrir à ce peuple, un spectacle honteux, de mauvais goût, qui constitue une dévaluation des valeurs pour lesquelles nous nous sommes battus à ses côtés pendant 26 ans pour l’amener au pouvoir.

Propos recueillis par El H. Daouda L. GBAYA

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