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dimanche, 09 novembre 2008

Lettre à Barack Hussein Obama

Hommage au symbole de la part d’une Africaine
il est environ 5h du matin quand CNN annonce, que compte tenu de leurs estimations, tu es élu 44e président des Etats-Unis. Un miracle en direct ! En quelques minutes, tu es devenu une icône du 21e siècle. Le premier Africain-Américain à occuper le Bureau ovale, 150 ans après l’abolition de l’esclavage, le vote du nouveau Civil Rights Act (loi sur les droits civiques) en 1964 et le Voting Rights Act (loi sur le droit de vote) en 1965 qui mettent fin, du moins sur le papier, à la ségrégation raciale aux Etats-Unis.
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Je me souviens de ma première rencontre médiatique avec toi en cet hiver 2004. J’avais proposé un portrait radiophonique de ce nouveau venu en politique aux Etats-Unis, toi, durant une escapade germanique. Ta personne, moitié kényane, m’avait intriguée. Un métis promis à une belle carrière politique dans le camp démocrate qu’il avait subjugué, quelques mois plus tôt, lors d’un éblouissant discours durant la convention du parti. Aujourd’hui, nous en avons la confirmation : tu es à la Maison Blanche. Sujet fait, expérience germanique terminée, j’ai repris mes bagages et je suis rentrée à Paris. Je t’ai un peu oublié. L’Amérique, c’est si loin…

Puis nous voilà en janvier 2008, les primaires américaines démarrent. Tu étais revenu au-devant de la scène et tu allais même gagner l’Iowa le 3 janvier, petit Etat réputé conservateur où une victoire est toujours de bon augure dans la course à l’investiture démocrate. Tu battais la grande Hillary Clinton, favorite des démocrates. Quelle audace ! Celle d’espérer bien sûr ! (le titre de ta biographie : The Audacity of Hope : Thoughts on Reclaiming the American Dream). Je ne t’imaginais pas un seul instant victorieux du duel démocrate. Tu l’as été ! Puis, Hillary Clinton a repris la main. Les choses reprenaient leur cours. Mais au fond du cœur de beaucoup, la flamme de l’espoir brûlait désormais accompagnée d’une lucidité liée à une Histoire faite de traite négrière, d’esclavage et de colonisation.

Pendant 11 mois, j’ai veillé pour suivre sur CNN tes discours et le compte-rendu de la trépidante campagne américaine puisque les chances d’un sémillant démocrate, Noir de surcroît, se confirmaient un peu plus chaque jour. Avec ma copine Natacha, nous avons mis nos réveils respectifs. Le soir ou l’aube de ton discours d’investiture, elle m’a réveillée trois fois pour que je te suive en direct et écoute ce beau discours-programme qu’il ne te sera pas facile d’appliquer à la lettre. Ce n’était que le prélude de celui que tu as prononcé mercredi matin, pour nous les Français. Suivre ta campagne est loin d’avoir été une cure de sommeil. La nuit du 4 novembre a été d’ailleurs mémorable et merveilleuse, mais j’en porte encore les séquelles au moment où je t’écris ces mots.

Il est environ 5h du matin, à Paris, quand CNN annonce, que compte tenu de leurs estimations, tu es élu 44e président des Etats-Unis. Un miracle en direct ! En quelques minutes, tu es devenu une icône du 21e siècle. Le premier Africain-Américain à occuper le Bureau ovale, 150 ans après l’abolition de l’esclavage, le vote du nouveau Civil Rights Act (loi sur les droits civiques) en 1964 et le Voting Rights Act (loi sur le droit de vote) en 1965 qui mettent fin, du moins sur le papier, à la ségrégation raciale aux Etats-Unis.

Pour les Noirs d’Amérique, tu es l’incarnation du rêve de Martin Luther King. « Je rêve que mes quatre petits-enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur la valeur de leur caractère. », affirmait-il alors le 28 août 1963 lors de la Marche de Washington. Toi, Barack Hussein Obama, tu a été justement élu sur ta personnalité et la couleur caramel de ta peau n’a pas empêché une majorité d’Américains blancs de te choisir. Le rêve de Martin Luther King, tu l’as actualisé pour les Africains-Américains. Ils représentent 13% de la population américaine, sont souvent les plus pauvres [1], et plus de 4,5 millions ont perdu leurs droits civiques à cause de leurs démêlés judiciaires.

En Afrique, tout aussi mal lotis sur le plan matériel, tu es devenu aussi synonyme d’espoir. Tu ne changeras peut-être rien dans la politique africaine de l’Oncle Sam, mais grâce à toi, les Africains sont désormais « pround to be black » (fiers d’être Noir). Surtout au Kenya, la patrie de ton père, où le mercredi 5 novembre a été déclaré férié en hommage à ta victoire présidentielle. Là-bas, ton leitmotiv « Yes, we can », que l’on doit à l’architecte de ta campagne David Axelrod et transformé depuis en « Yes, we did », se dit en swahili « Nduo Tunawesa ».

Ton accession à la magistrature, Barack Obama, est un symbole, pas seulement pour la cause noire aux Etats-Unis, pour l’Afrique, mais aussi pour l’humanité. Tes origines européennes, africaines, indiennes (d’Amérique) par ta grand-mère, Madelyn Dunham, native du Texas, que tu viens de perdre, ton séjour en terre indonésienne chez ton beau-père, en Asie, font de toi un homme à la croisée des mondes. Ton parcours est aussi celui d’un chrétien, né d’un père musulman non pratiquant et qui a vécu dans le plus grand pays musulman du monde, l’Indonésie. Un autre symbole quand les valeurs du monde chrétien semblent s’opposer à celles des musulmans dans les représentations des extrémistes des deux bords. Métis, tu l’es à plus d’un titre, toi que l’on considère chez toi comme Noir et qui, comme nous le dirions par ici, revendique ta négritude. Ton union avec Michelle Robinson, descendante d’esclave, font de ta progéniture le fruit de la réconciliation entre l’Afrique et ses fils exilés de force en Amérique. Enfin, le nom qu’on te donnât à ta naissance ne pouvait que présager d’un destin exceptionnel. En arabe et en hébreu, Barack veut dire « béni », en swahili ton prénom signifie « bénédiction » et ton patronyme Obama signifie « lance enflammée ». Au passage, Hussein, ton deuxième prénom, qui t’a valu d’être associé à Oussama Ben Laden, l’ennemi numéro un de l’administration Bush et de l’Amérique, se traduit par « bon et beau » en arabe.

A Paris, où les diasporas noires ne savent plus où donner de la tête pour se faire une place dans leur propre pays, tu es l’incarnation de leur besoin de reconnaissance. Il y a quelques mois, alors que je faisais la queue dans une gare parisienne, des Noirs se plaignaient que d’autres ne respectaient pas l’ordre de la file. Et l’un d’eux, d’origine camerounaise, de rétorquer excédé : « Les Noirs, ce n’est pas possible ! ». La réponse d’un Africain d’origine guinéenne, accompagné de son fils certainement né en France, a alors fusé : « Moi, je suis plus que jamais fier d’être Noir depuis que Barack Obama peut devenir président des Etats-Unis ». Pendant la soirée électorale dans la capitale française, une Franco-camerounaise affirmait que les noms d’origine africaine ne seraient plus considérés comme bizarres dans la société française. Car le patronyme Obama, que l’on retrouve d’ailleurs aussi au Cameroun, permettra désormais de se familiariser avec ce type de noms.

Quelques heures après ta victoire, il est encore difficile de croire et de mesurer la portée de ton élection qui n’était pas envisageable, il y a seulement une dizaine d’années encore. En 1999, le prix Nobel de littérature pour son livre Beloved, l’Africaine-Américaine Toni Morisson, qui a soutenu Barack Obama, disait de Bill Clinton qu’il était le premier président noir des Etats-Unis. « Plus noir que toute personne réelle qui puisse être élue durant la vie de nos enfants ». A Chicago, alors que tu prononçais ton discours de victoire, les larmes de l’Africaine-Américaine Oprah Winfrey, la plus puissante femme du paysage audiovisuel américain, productrice et héroïne de l’adaptation cinématographique de Beloved, et de Jesse Jackson, héritier de la lutte du pasteur King, candidat malheureux par deux fois à l’investiture démocrate, en disaient long sur le chemin parcouru par les Noirs aux Etats-Unis.

Tu l’as dit, ton histoire ne pouvait être possible que dans le Nouveau Monde. L’Amérique nous aura montrés qu’elle pouvait produire le meilleur et le pire : toi, élu président, ou Bush et Guantanamo. Les Américains, que l’on dit souvent bigots, conservateurs et incultes, ont montré qu’ils ne t’ont pas jugé sur ta couleur de peau, signant la mort de l’effet Bradley [2] que des partisans redoutaient tant. Ils ont retenu ta compétence, tes qualités de meneur d’hommes qui sait s’entourer, en phase avec son époque – tu as fait un usage inouï du Net dans ta campagne –, et ton charisme. On retiendra par-dessus tout que les fils de la nation la plus puissante du monde, celle du Melting Pot, ont pensé que tu étais capable de les conduire en ces temps tourmentés. A travers ton élection, comme le disait des Africains-Américains interviewés à Harlem, c’est le début de la « rédemption » pour cette Amérique blanche au passé esclavagiste et ségrégationniste. C’est l’amorce de la réconciliation entre Blancs et Noirs américains, voire entre tous les Noirs et les Blancs du monde entier. « Toutes les "minorités" américaines savent maintenant que l’Amérique n’est pas fondamentalement raciste et dominée par les Blancs », dixit, l’écrivain congolais Alain Mabanckou, prix Renaudot 2006. Pour le paraphraser, je dirai même plus : les Noirs et les assimilés, victimes du racisme et des humiliations inhérentes, sauront désormais que leur agresseur n’est que l’exception qui confirme la règle. Ce n’est pas seulement qu’au travers d’Hollywood que les Etats-Unis produisent et véhiculent des valeurs holistiques. Avec ton élection, l’Amérique prouve qu’elle se renouvelle et évolue au sens le plus noble du terme, justifiant ainsi son leadership politique, économique et culturel.

Monsieur le président Barack Obama, votre métissage, l’homme que vous êtes - celui qui a prononcé ce fameux discours sur la race qui consacre, dit-on, « l’Amérique post-raciale »-, nous rappelle et nous rappellera, à travers les âges, que le racisme est un non-sens parce que nous appartenons tous à une seule et même race : celle des Homo sapiens sapiens, descendants de Lucie l’Africaine. Comme ton site le dit désormais, le changement peut arriver (« Change can happen ») et il arrivera.

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