vendredi, 29 août 2008
Barack Obama revient de loin. Le politicien au statut de rock star, porté aux nues par le Parti démocrate à Denver,
Il n'avait pas reçu de laissez-passer et avait dû se contenter de regarder les discours sur un écran de télévision. Le sénateur junior de l'Illinois venait de subir une défaite électorale pour le Congrès de Washington et était rentré chez lui avant la fin des festivités.
Sa consécration jeudi, au firmament de la politique américaine, est une histoire improbable: celle d'un homme dont le grand sens moral n'est égalé que par son ambition. Son parcours, forgé à Chicago, la ville d'Al Capone, où la politique a toujours la réputation d'être sanglante, il le commence tout en bas : dans le Southside, la plus large communauté de Noirs américains des Etats-Unis. Et, plus précisément, à Altgeld Gadens.
Deux mille appartements de deux étages, en brique rouge identique, construits au milieu d'un no man's land pour les vétérans noirs de la Seconde Guerre mondiale. Depuis 30 ans, Altgeld Gardens est un cauchemar écologique, bordé par des aciéries aujourd'hui désaffectées, une usine de traitement des eaux usées, un atelier de montage Ford, et la plus grande décharge publique de Chicago. Certains jours, les habitants aimeraient s'arrêter de respirer, tellement l'air est vicié. "En fonction de la direction du vent, vous sentez soit les odeurs de déchets, soit celles d'excréments humains", explique Cheryl Johnson, directrice du centre social planté entre les 2 000 bâtiments, dont la moitié sont désormais abandonnés. Le taux de cancer, d'asthme et de fausses couches y est le plus élevé de toute l'agglomération de Chicago. "Il y a pas mal d'allergies dans le coin", confirme une mère de famille qui se gratte l'avant-bras rien qu'à évoquer l'idée.
C'est dans ce décor désolé que débarque, en 1985, un jeune homme idéaliste, aux origines diverses et déraciné du nom de Barack Obama. A 23 ans, pour 1 000 dollars par mois, il s'engage comme travailleur social au service d'une petite association religieuse locale, le Developing Communities Project (DCP), où il travaillera trois ans, une période de sa vie qu'il raconte longuement dans sa biographie, "Les rêves de mon père". Par tous les temps, il sillonne les quartiers majoritairement noirs du Southside, bâtissant un mouvement social pour faire face au chômage endémique, à l'échec scolaire, aux conditions de vie insalubres dans des appartements contaminés par l'amiante. "Il nous a appris à nous organiser et à trouver les moyens d'améliorer nous-mêmes notre condition. Il était très déterminé, et semblait capable de dégager des priorités pour parvenir à des solutions", déclare Loretta Augustine-Herron, une volontaire de l'organisation, devenue une sorte de marraine pour le nouveau venu. "Quand j'ai commencé mon métier, je n'avais qu'une idée abstraite du changement social. C'était la première fois que j'ai eu l'opportunité de tester mes idées. Et pour la plupart, les victoires ont été modestes", affirmait le sénateur de l'Illinois dans une récente interview au magazine américain "The New Yorker".
Un soir, il se rend chez Loretta, mère de famille de 18 ans son aînée, qui le reçoit comme souvent dans sa petite cuisine.
Après trois ans dans le Southside, Barack Obama lui annonce qu'il va rejoindre la prestigieuse école de droit à Harvard, mais lui demande de ne pas relâcher ses efforts. "Il avait réalisé que s'il voulait faire changer les choses, il devait avoir une place à la table des décideurs", affirme cette afro-américaine qui, inspirée par l'exemple de Barack Obama, a repris des études et est aujourd'hui institutrice dans le Southside.
Celle qui est largement décrite dans les mémoires du candidat sous le pseudonyme d'Angela se souvient que celui que l'on surnommait "visage poupon" était déjà un être à part : "Barack était le jeune homme le plus sérieux que j'avais jamais rencontré. Il n'élevait jamais la voix, était toujours respectueux. Il était très éduqué, mais ne regardait jamais personne de haut", raconte-t-elle aujourd'hui.
Ambitieux, Barack Obama convoitait-il déjà une carrière politique ? "A le voir interagir avec les gens et se soucier d'eux, j'ai toujours pensé qu'il serait président un jour", confie Loretta Augustine-Herron, installée sur son canapé rouge. Son arrivée à Chicago trois ans plus tôt n'avait pas été seulement le fruit du hasard. A la même époque, Harold Washington, un homme politique afro-américain indépendant, venait d'être élu premier maire noir de la ville, un exemple qui intéressait de près le jeune Obama.
Harvard offre à celui-ci un tremplin pour se faire, lui aussi, un nom. Très brillant, il devient le premier afro-américain à diriger la fameuse revue de droit d'Harvard, une distinction qui lui ouvre les portes des plus grands cabinets d'avocats du pays. Mais son diplôme en poche, il choisit de retourner à Chicago, avec, cette fois, un projet politique. "Barack Obama ne pouvait choisir d'endroit plus difficile pour faire sa place dans l'arène politique locale. Le fait qu'il y soit parvenu en dit long sur sa robustesse", explique Paul Green, professeur de science politique et auteur de l'ouvrage "Les maires : la tradition politique de Chicago".
Le jeune avocat travaille d'abord sur des dossiers liés à la discrimination positive dans le cabinet créé par Judd Miner, un ancien conseiller d'Harold Washington, mort dans ses fonctions. Celui-ci a été remplacé entre-temps par Richard M. Daley Junior, fils de l'ancien maire omnipotent Richard J. Daley. Sauf une interruption de 11 ans, la "machine Daley" règne sans interruption sur les Démocrates de Chicago depuis 1955. Daley Junior a été réélu pour la cinquième fois en 2007.
Au début des années 90, Barack Obama s'installe à Hyde Park, un quartier ombragé près de l'université de Chicago. Hyde Park est un endroit de rêve pour les progressistes. Les demeures de plus d'un million de dollars côtoient les appartements des immeubles plus modestes où le loyer mensuel d'un deux chambres est de 750 dollars. Les voisins de Barack Obama sont des professeurs et des étudiants, plusieurs prix Nobel, l'ancien boxeur Mohamed Ali et Louis Farrakhan, leader noir controversé de "La Nation de l'Islam". "Rejoindre le cabinet de Judd Miner et vivre à Hyde Park était une façon de choisir son camp dans la bataille politique qui opposait la machine démocrate du maire Daley et les indépendants", écrit David Mendell, journaliste au "Chicago Tribune" et auteur de la biographie "Obama : de la promesse au pouvoir".
Pendant qu'il enseigne le droit constitutionnel à l'université de Chicago, il se fait connaître des milieux politiques, et se positionne du côté des indépendants. En 1995, Alice Palmer, sénatrice de Hyde Park dont il était le protégé, se lance dans une campagne pour le Congrès et lui propose de la remplacer. Quand celle-ci échoue dans ses ambitions nationales, Barack Obama refuse de se retirer de la course, et s'arrange même pour disqualifier son ancienne alliée pour vices de forme sur son dépôt de candidature. S'imposant en force, il est élu sénateur de Hyde Park en 1996 grâce à une plate-forme comprenant les milieux intellectuels blancs, les indépendants et l'élite noire.
Dans la capitale de l'Illinois, à Springfield, le sénateur junior se forge un style politique. Plutôt que de défier la vieille garde démocrate, Obama entretient une relation mutuellement bénéficiaire avec elle. Ses idées sont libérales, mais son ton est modéré et convainc les conservateurs. Il fait passer des lois contre la discrimination raciale pour une baisse des impôts pour les faibles revenus et pour une sécurité sociale gratuite pour tous les enfants de l'Illinois. Entre-temps, il a aussi rejoint l'Eglise protestante unie du Christ (Unity trinity Church of Christ) du pasteur Jeremiah Wright, dans le Southside de Chicago. Il se marie à Michelle Robinson, une enfant du quartier entrée comme lui à Harvard, et fait baptiser leurs deux filles dans cette église noire, où les gospels sont chantés par un choeur revêtu de tenues africaines. Les sermons enflammés contre l'Amérique blanche du révérend Wright, retraité depuis quelques mois, ont semé la controverse pendant les primaires, obligeant le candidat à renier son pasteur et à quitter l'église.
En 2000, il se lance dans la course pour un siège au Congrès de Washington, mais connaît une défaite cuisante face à Bobby Rush, ancien membre des Black Panthers. A cette époque, Barack Obama est encore largement considéré comme "pas assez noir" par une partie de la communauté afro-américaine. Convoitant un poste au Sénat de Washington en 2002, Barack Obama décroche le soutien de David Axelrod, la perle des consultants de Chicago, qui se trouve être aussi un proche du maire Richard Daley Junior. "Ce rapprochement avec la "machine Daley" ne doit pas être sous-estimé. Si votre ambition politique est grande à Chicago, vous devez toujours trouver des accommodements avec le maire Daley", affirme le professeur Green. Ses rapports avec l'administration Daley, notoirement corrompue, sont une zone d'ombre à son tableau, ainsi que ses contacts avec Tony Rezko, un homme d'affaires véreux aujourd'hui en prison. Tony Rezko a construit sa carrière en offrant des faveurs aux politiciens qui pouvaient lui ouvrir les portes de contrats immobiliers juteux. Il avait notamment contribué à hauteur de 250000 dollars à la campagne sénatoriale de M. Obama, et avait acheté un lot adjacent à sa demeure, qu'il lui a revendu par la suite.
Le manque de vigilance, ou la complicité, de Barack Obama est décrite par John Kass, éditorialiste au "Chicago Tribune", en ces termes : "Ne pas faire de vagues et ne pas soutenir les perdants." "Du jour au lendemain, Obama est passé de la critique du système établi à celui d'intervenant dans ce jeu. Il représente à la fois l'extérieur et l'intérieur du système", poursuit David Mendell dans sa biographie du candidat. Avec l'aide de David Axelrod, qui est toujours aujourd'hui son stratège en chef, Barack Obama remporte le siège de sénateur démocrate de l'Illinois en 2004 face à un opposant républicain déstabilisé par un scandale.
Il est propulsé sur la scène nationale par son fameux discours à la Convention démocrate de Boston il y a tout juste quatre ans. "C'est un homme extraordinairement ambitieux, combatif, doué d'un charme persuasif, et dont la portée semble n'avoir aucune limite", écrit encore David Mendell.
A Altgeld Garden, toute la communauté veut le voir élu en novembre. "Quand il parle, les gens l'écoutent, comme c'était le cas avec Martin Luther King", dit Tray, un jeune afro-américain de 29 ans. "Pour la première fois, mes amis se sont enregistrés pour aller voter. Avant, les jeunes Noirs ne se sentaient pas concernés et étaient même embarrassés de voter." Des rues du Southside à Denver, l'ascension fulgurante de Barack Obama fascine.
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