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lundi, 26 mai 2008

Face à Kabila, une césure belge

KINSHASA réagit durement aux propos du ministre des Affaires étrangères Karel De Gucht. Des paroles dont les francophones se démarquent. Et l'ancien vice-président de la RDC, Jean-Pierre Bemba, a été placé sous mandat d'arrêt dimanche après-midi à Bruxelles.
L'édito "Un nouveau cap dans la lutte contre l'impunité".91e1bd45e23f3c49bc7ba37638f643ea.jpgLes relations entre la Belgique et la République démocratique du Congo ont pris un sérieux coup de froid : réagissant aux propos tenus à Kinshasa par Karel De Gucht fin avril, confirmés sur le fond par le Premier ministre et aggravés par de récentes déclarations en Chine selon lesquelles la Belgique aurait le « droit moral » de sanctionner la politique congolaise, c'est le gouvernement congolais lui-même, réuni en Conseil des Ministres dans le Bandundu vendredi, qui a tenu à répliquer.

La riposte se veut graduée : l'ambassadeur de la RDC à Bruxelles, Jean-Pierre Mutamba, est rappelé en consultation, et le consulat du Congo à Anvers est fermé. Ce qui représente un coup dur pour les milieux diamantaires qui avaient l'habitude de négocier leurs visas pour le Congo et en particulier pour le Kasaï depuis la métropole flamande. En outre, les relations de coopération seront réévaluées.

Même si d'aucuns, renchérissant sur la colère présidentielle, voulaient pousser jusqu'à la rupture, ce sont tous les ministres congolais, sinon la classe politique dans son ensemble, qui se sont sentis offensés par les propos d'un Karel De Gucht lisant à la volée une liste de griefs mentionnés sur une note qui ne correspondait pas au document rédigé à Bruxelles.

Au cours du Conseil présidé par Antoine Gizenga, les ministres, stupéfaits, ont pris connaissance de certains propos tenus par De Gucht : « Je vous le dis, les accords avec la Chine ne passeront pas le cap de l'Assemblée nationale », ou « Vous devez remanier votre gouvernement et m'en tenir informé » et surtout « Les 200 millions de dollars que nous vous donnons au titre de l'aide nous donnent un “droit de regard moral” sur votre politique. »

Les ministres exigent désormais de remettre à plat les relations entre les deux pays : « Nous voulons savoir où sont utilisés ces 200 millions de la Coopération belge, à quoi ils sont dépensés, nous aussi nous savons compter », remarque le ministre des Infrastructures, Pierre Lumbi, qui ajoute : « D'autres partenaires, laGrande-Bretagne, l'Union européenne, nous accordent plus d'aide mais se montrent infiniment plus respectueux. »

Cette réévaluation conjointe de la coopération sera peut-être la porte de sortie, permettant de dénouer une crise que ni le Congo ni la Belgique francophone ne veut voir déboucher sur une rupture.

Hasard du calendrier ? Une délégation du Parlement de la Communauté française, présidée par Jean-François Istasse (PS), s'est retrouvée à Kisangani au moment des événements. Poursuivant une mission déjà menée au Katanga et à Kinshasa, quatre députés, Marc Elsen (CDH), Paul Galand (Écolo), Alain Destexhe (MR) et Véronique Jamoulle (PS) ont animé un séminaire destiné aux députés des assemblées provinciales au cours duquel ils ont expliqué la portée des compétences régionales en Belgique et abordé des sujets très concrets, comme les finances, le budget, la fonction publique, l'enseignement, la santé, le fonctionnement des partis politiques.

À plusieurs reprises, leurs collègues députés du Nord et Sud-Kivu, du Maniéma et de la Province Orientale ont souligné, tous partis confondus, que le président de la République était le symbole de la nation. Autrement dit : tout manque de courtoisie à l'égard d'un chef d'État élu offense l'ensemble de ses concitoyens…

Suspendus à leur portable et communiquant avec les états-majors de leur parti, les députés belges ont participé à la rédaction des communiqués qui allaient se succéder à Bruxelles, à l'exception du député Destexhe très silencieux, et qui fut « dribblé » par Armand De Decker, président du Sénat. Pour ce dernier, « Karel De Gucht, en dépit de son intelligence et des qualités dont il a fait preuve lorsque la Belgique présidait l'OSCE, pratique au Congo une “diplomatie automutilante”, totalement contre-productive. (…) Alors que nous devrions accompagner les efforts déployés par le Congo, tout en demeurant exigeants sur les principes de gouvernance, nous risquons de mener une politique dont la population congolaise, et elle seule, fera les frais une fois de plus, comme après la rupture intervenue en 1990… »

Même si, sur les ondes de la RTBF, De Gucht persiste, assurant que ses propos reflètent l'opinion du nord du pays, il est clair qu'une nouvelle césure se dessine en Belgique : la classe politique francophone, unanime, a condamné la manière de traiter les dirigeants de notre ancienne colonie. Cette intransigeance, qu'il faut bien désormais appeler flamande, risque de susciter également la perplexité dans d'autres capitales européennes : le ministre français de l'Environnement, Jean-Pierre Borloo, vient de quitter Kinshasa et le président Kabila est attendu à Paris où il rencontrera le président Sarkozy avant que ce dernier n'entame la présidence française de l'Union.

Comme un hasard du calendrier ne vient jamais seul, le Congo, à peine remis du « coup de gueule » du Conseil des ministres, a appris que Jean-Pierre Bemba avait été appréhendé à Bruxelles pour le compte de la Cour pénale internationale. Cette nouvelle a renforcé les inquiétudes des Belges vivant au Congo, qui craignaient déjà de faire les frais des foucades de De Gucht : ils redoutent que les milieux d'opposition, passé le premier moment de surprise, n'affirment que « désireux de se réconcilier avec Kabila, les Belges ont sacrifié Bemba en le livrant à la CPI ».

La réalité est tout autre : la semaine dernière déjà, Kinshasa craignait un retour en force du « chairman » qui avait quitté le Portugal, et des hommes munis d'armes et de cartes de la ville avaient été appréhendés alors qu'ils avaient traversé le fleuve depuis Brazzaville. Ces hommes qui se trouvent aujourd'hui dans la capitale pourraient se livrer à un « baroud d'honneur ». L'opération ayant échoué, Bemba, qui venait d'arriver à Bruxelles, se préparait à se rendre, soit en Libye, soit en Ouganda, hors de portée de la justice internationale. Si la CPI a précipité les choses, c'est parce que ses limiers étaient informés de ce départ imminent.

Un ministre belge aurait-il voulu prévenir Bemba in extremis ? La question se pose. À Bruxelles, en effet, on encourageait ce dernier, soit à regagner le Portugal, soit à rentrer au plus tôt à Kinshasa, autant pour reprendre sa place de leader de l'opposition que pour affaiblir un Kabila décidément jugé trop « souverainiste ».
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