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vendredi, 11 janvier 2008

Dominique de Villepin: "La diversité est la chance de la Belgique"

L'ancien Premier ministre français Dominique de Villepin évoque Napoléon et Nicolas Sarkozy. Il exprime des réserves sur certaines orientations de la nouvelle diplomatie française. Et vante les atouts de la Belgique en crise.


Entretien

Entretien avec l'ancien premier ministre français Dominique de Villepin, à Bruxelles jeudi : de Napoléon Bonaparte à Nicolas Sarkozy, à l'occasion de la publication de son livre "Le soleil noir de la puissance"(1). Le texte de cette interview a été relu et amendé par M. de Villepin.

Qu'est-ce qui vous fascine dans le destin de Napoléon ? Fut-il le sauveur ou le fossoyeur de la Révolution française ?

L'intérêt, je le porte à l'homme lui-même et plus encore à l'importance de cette période pour l'Histoire de la France et de l'Europe. La préoccupation de Bonaparte est tout d'abord de chercher à réconcilier les Français et à ramener dans son lit la Révolution sans pour autant la renier puisqu'il est celui qui asseoit la propriété, l'égalité, celui qui cherche à développer le mérite. Il est vrai que ceci se fait en grande partie au détriment de la liberté. Mais sans doute davantage dans les années qui suivront que dans les premières années consulaires, parce que le pouvoir personnel se renforcera. Plus le régime se fragilisera, plus les difficultés seront nombreuses, plus cela se fera au prix des libertés, de l'avènement d'une cour et d'une concentration du pouvoir. Il faut quand même souligner ce génie de Bonaparte qui consiste à être capable de refonder le pacte entre le pouvoir et la société et à doter la France d'un certain nombre de grandes institutions modernes : le Code civil, le Concordat, la situation préfectorale, la refonte économique et financière. Tout ceci permet d'asseoir la France nouvelle.

Napoléon Bonaparte réussit l'alchimie des contraires. C'est un homme de pouvoir et de conquête et un homme qui a conscience de la fragilité, de la précarité de tout. Il sait en même temps réussir cette alchimie entre le chef de guerre et l'homme politique. C'est un homme qui a une intuition, une compréhension, une philosophie du pouvoir.

Y a-t-il du Napoléon dans Nicolas Sarkozy ? Vous écrivez à propos de Napoléon cette phrase qui, pour partie, pourrait décrire Nicolas Sarkozy : "Nul mieux que Napoléon n'incarne cette course contre le temps, cette lutte contre l'esprit de cour et les conservatismes qui incombe au responsable éphémère du destin d'un peuple".

Certaines situations de pouvoir peuvent être comparables; on s'enrichit toujours d'une réflexion historique. Mais les comparaisons ne doivent pas conduire à des caricatures; on est dans un autre temps de l'Histoire et devant des tempéraments politiques tout à fait différents. On est devant des hommes dont le rapport à l'Histoire, au pouvoir, n'est pas du tout comparable. Ce qui est vrai, c'est que les enjeux de pouvoir vous confrontent souvent à des situations qui, elles, peuvent être comparées et dont il faut s'instruire. Que le pouvoir ait tendance à vous isoler, à vous couper d'un certain nombre de réalités ou de forces; que le rôle de la cour reste puissant parce qu'il se développe dans l'entourage du pouvoir, cela me paraît être une constante. C'est vrai en France et ailleurs. Tout homme politique est bien inspiré quand il essaye d'éviter un certain nombre d'effets pervers, de situations dangereuses et quand il prend en compte des aspirations profondes. En politique, il faut savoir se référer à des principes, à des exigences et constamment se remettre en question. C'est un travail incessant parce qu'il est vrai que la tentation naturelle du pouvoir est de perdre de vue un certain nombre de ces exigences. Il faut se les rappeler et il faut être capable de s'entourer de gens qui vous les rappellent. C'est difficile car c'est aller contre les flatteurs et contre ceux qui ont intérêt à avoir une prise sur vous.

Vous qui avez été le ministre des Affaires étrangères d'une France qui s'est opposée aux Etats-Unis sur la guerre en Irak, n'êtes-vous pas heurté par une certaine complaisance de la diplomatie française actuelle à l'égard de la politique américaine ?

Loin de moi l'idée de faire de quelconques procès d'intention au Président de la République ou au gouvernement, ce qui m'importe, c'est l'action. Dans les responsabilités qui ont été les miennes et qui sont les miennes aujourd'hui, il y a l'exigence de vigilance. Ce que je souhaite, c'est que mon pays n'oublie pas les réalités du monde d'aujourd'hui et les grands principes qui fondent notre diplomatie : la paix, la justice et l'indépendance. Il faut savoir dans quelles circonstances et dans quelles situations, la France peut être le plus efficace. Je ne crois pas, par exemple, que ce soit en revenant dans les instances militaires de l'Otan que la France soit le plus crédible, le plus efficace et le mieux entendue. De la même façon, je crois que la France a la chance d'être comprise, attendue, espérée dans un certain nombre de régions du monde vis-à-vis desquelles nous avons des responsabilités. La France a toujours été à la croisée des différents mondes, à la croisée du Sud et du Nord. Le général De Gaulle avait très bien compris que la France avait cette vocation charnière. Dans le monde d'aujourd'hui, quand on est porteur de cette diversité, c'est une chance. Le monde a besoin de médiateurs, de gens qui permettent à l'esprit de tolérance et de dialogue de se développer. Je pense que la Belgique, de la même façon, a cette expérience, cet héritage de la diversité, la connaissance de l'Afrique, que nous partageons. Cette diversité culturelle qui vous incarne et que vous représentez, c'est une chance pour la Belgique. Il est vrai que dans des moments de difficulté, la tentation peut être à la division, à la récrimination et à la frustration. Il faut être plus fort que cela. La responsabilité des hommes politiques, c'est de ne pas céder aux pulsions, aux tentations de la division, aux tentations de la vie partisane... C'est au contraire de s'élever.

Vous évoquez, dans votre livre, la solitude du pouvoir. Etes-vous confronté aujourd'hui à la solitude d'une personnalité mise en cause dans une affaire judiciaire, l'"affaire Clearstream" ?

Non. Quand on est un homme public, la première chose qu'il faut éviter de faire, c'est de s'attarder sur soi-même. Je n'ai jamais voulu, tout au long de ma vie, m'attarder sur des sentiments comme l'amertume, le regret. Il faut au contraire rester soucieux de l'action, de la réflexion, et apporter des réponses. Quand on est confronté, comme c'est le cas que vous évoquez, à une situation où, bien que vous ayez fait votre devoir, on veut malgré tout vous mettre en cause, votre responsabilité, c'est d'expliquer les choses. Je ne suis pas dupe de certaines exploitations politiques ou médiatiques dans un dossier comme celui-ci. Ce que je sais, c'est que la mise en cause est infondée et que la réalité de ce dossier n'a rien à voir avec ce qui est dit. C'est un dossier d'une tout autre nature, internationale, industrielle. C'est une tout autre histoire que celle qu'on a voulu raconter. Je n'ai fait que mon devoir de ministre de l'Intérieur et des Affaires étrangères.

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