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mercredi, 26 décembre 2007

Nous ne sommes pas terroristes

SUSPECTÉES dans le cadre du projet de tentative d’évasion de Nizar Trabelsi, Samira et Naima se confient au « Soir ».
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Curieux rendez-vous, en ce jour de Noël. Deux femmes désirent parler, pour revenir sur un fait d’actualité qui les a marquées : les perquisitions et interpellations menées par les hommes de l’antiterrorisme, vendredi dernier. Toutes deux font partie des quatorze personnes interpellées, interrogées, puis relâchées quelques heures après. Une précision martèle régulièrement leur discours : « Nous ne sommes pas des terroristes ».

Samira habite dans une maison modeste de la riche banlieue de la capitale. A Woluwe-Saint-Pierre, plus précisément à la lisière de la forêt de Soignes. Cette femme occidentalisée, intégrée dans la société belge, qui apprend le néerlandais à ses enfants, est l’épouse d’Ahmed Temsamani, condamné pour des braquages, actuellement en prison, à Anvers. Chez elle est également présente Naima. Voilée, celle-ci est plus traditionnelle dans son approche de la religion musulmane. D’origine marocaine, mais vivant en Belgique depuis toujours, elle a épousé Nizar Trabelsi le 7 mars 2006. Religieusement, en tout cas. Le mariage civil semble être en cours.

Toutes deux ont été réveillées en sursaut, vendredi dernier, vers 5h30 du matin. Les enquêteurs disposeraient des indices leur permettant de supposer que Trabelsi tenterait de s’évader, avec la complicité d’hommes armés et déterminés. L’opération « Trabak » est mise sur pied.

Naima : « Ils sont restés trois à quatre heures, ils ont tout fouillé et n’ont pris que les ordinateurs et les lettres de mon mari. Ce qui a été le plus dur, c’est qu’ils ont mis les menottes à mes deux enfants majeurs qu’ils ont emmenés avec moi pour interrogatoire ».

« Avec moi, ils ont été plus sympas, intervient Samira, mais il faut dire que mon look n’est pas le même que le tien (rires). En revanche, chez moi, les enquêteurs ont oublié leur sac en papier mentionnant le nom de code de l’opération, dans lequel il y a encore leurs gants en caoutchouc et des documents de la police »…

Samira demande à ses enfants de terminer de manger leurs céréales, à l’étage. Le petit prend sa console de jeux et s’exécute.

Alors que l’on parle d’une action antiterroriste et d’intégrisme, sur la table du salon trône un numéro de Marie Claire et un autre de Glamour. « Au départ, ils n’ont pas dit ce qu’ils cherchaient, embraye Naima, puis ils ont demandé s’il y avait des armes ? Sur le mandat de la juge il était inscrit : “Recherche de matériel terroriste et d’éléments pouvant servir à une prise d’otages“ ».

Samira chipe la parole : « Il y avait quatre policiers à la porte, d’autres dans le jardin, d’autres encore dans la rue, et un hélicoptère qui survolait la maison. Puis, parmi ceux qui étaient à l’intérieur, j’en ai reconnu deux qui étaient déjà venus me voir, en octobre, pour me parler d’une autre affaire qui concernerait mon mari. Lors de cette visite, ils ont dû placer des micros, dans le salon, dans le hall et près de l’ordinateur, car j’ai vu qu’ils les enlevaient, vendredi »…

Selon les deux femmes, le groupe cerné lors de l’opération « Trabak » devait être sous observation depuis une année au moins. Et notamment suite à la cérémonie religieuse qui s’est déroulée à Berchem-Sainte-Agathe, chez Naima… « Le 7 mars 2006, on s’est vues chez moi pour célébrer mon mariage religieux avec Nizar (Trabelsi). Comme il était en prison, il a fallu que des témoins confirment la volonté de Nizar de m’épouser. C’est notamment Ahmed (Temsamani) qui a accepté de jouer ce rôle de témoin. Les deux hommes se sont connus à la prison de Saint-Gilles, en 2001, en jouant au foot ensemble. A cette cérémonie, il y avait aussi Malika (el Aroud, également interpellée, et déjà connue pour son radicalisme, NDLR) ».

« Je pense que pour la police ça faisait un scénario parfait : Nizar le terroriste qui veut s’évader, Temsamani le braqueur qui va l’aider, Malika la radicale qui va les récupérer et moi, l’intégrée, qui leur sert de couverture. C’est n’importe quoi », s’indigne Samira.

« Je suis musulmane, croyante, mais pas radicale et je suis souvent en désaccord avec Malika. D’ailleurs à cette cérémonie, on s’est pris la tête. Elle était fâchée parce que je n’avais pas lu son livre et parce que j’habite à Woluwe », souligne Samira.

Naima en a une vision assez différente : « J’étais assez proche de Malika. Maintenant, je suis plus éloignée d’elle. On se respecte, même si on n’a pas les mêmes idées. Je discute avec elle de la religion, et je ne suis pas toujours d’accord avec elle. Je suis tolérante. Sauf par rapport à Bush, que je n’aime pas du tout ». « Moi, je n’aime pas cette bonne femme, ponctue Samira. Je l’ai dit à Nizar d’ailleurs. J’ai appris qu’elle appelait mon mari Abou Tarek ; moi, je ne connaissais pas ce surnom. Pour moi c’est Ahmed. Si elle tombe sur des gens faibles, elle risque vraiment de les embrigader »…

Tant Naima que Samira ont des contacts réguliers avec Nizar Trabelsi, condamné à dix ans de prison pour un projet d’attentat terroriste à la base militaire américaine de Kleine Brogel.

« Les GSM circulent partout, en prison. Peut-être font-ils exprès de le tolérer pour faciliter les écoutes ?, suppose Samira. Et les soupçons qu’ils avaient sur nous reposent sur ces écoutes. Mais il faut savoir qu’avec lui, on rit, on parle de tout et de rien pour lui changer les idées ; il a été tellement longtemps en isolement, sans voir personne. Alors, quelques phrases, mal traduites, sont retirées de leur contexte et montées en épingle... »

Exemple : on soupçonne Trabelsi d’encourager des jeunes à devenir des enfants soldats. « En fait, il est vrai que je passe le téléphone à mes enfants pour qu’ils parlent à Nizar. Il adore les enfants et il ne peut voir les siens. Ca lui fait un bien fou de parler. Les enquêteurs ont dit qu’il voulait faire de mon fils un enfant soldat… En fait, c’est parce qu’un jour, mon fils a fait un jeu où il était encagoulé et il simulait un kamikaze. Moi je lui ai dit que s’il tenait à mettre une cagoule, il valait mieux qu’il soit un policier de l’escadron d’intervention. Et mon fils en a parlé à Nizar. Trabelsi lui a dit de ne pas faire le policier, puis il m’a reproché d’interdire à mon fils de jouer au kamikaze, car il risquerait d’être attiré par l’interdit. Et c’est devenu une incitation à devenir un enfant soldat ».

Les deux femmes ont réponse à tout. Naima conteste tout projet d’évasion de Nizar Trabelsi… « Il est en prison depuis 2001, il a fait la plus grande partie de sa peine. Ensuite, on voudrait habiter ensemble, avoir un enfant, et il espère pouvoir entraîner des enfants au foot, comme il était footballeur professionnel. Notre projet est aussi simple. Je suis Belge, mon pays c’est la Belgique, c’est ici que j’ai envie de vivre. Mes enfants ont été élevés ici, mes filles ne portent pas le voile, je veux voir grandir mes petits enfants ».

Naima critique toute forme de terrorisme qui consisterait à se faire exploser en un lieu public, en tuant des innocents, des enfants, des femmes… Mais elle reconnaît le droit à des musulmans d’aller se battre en Irak, en Palestine, pour défendre des droits. Mais alors dans le cadre d’une armée, où des hommes combattraient d’autres hommes.

Pour l’heure, en cet après-midi de Noël, elle compte se déplacer à Nivelles, rendre visite à Nizar Trabelsi. Trabelsi qu’elle connaissait déjà en 2000, alors qu’il était en pleine période radicale, voyageant à Londres et en Afghanistan, et préparant un attentat en Belgique. Mais de ça, il ne lui avait jamais parlé.

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