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lundi, 19 novembre 2007

Europe-Afrique - la coopération en panne

La Commission européenne presse les Etats africains de signer, avant le 31 décembre, de nouveaux Accords de partenariat économique (Ape). Ce nouvel instrument de coopération multilatérale est censé prendre le relais des accords de Cotonou, qui viennent à expiration à cette date et qui, depuis sept ans, accordaient aux 46 Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (les Acp) un régime dérogatoire au principe de libre-échange et des préférences commerciales unilatérales. En l'absence de signature de ces nouveaux accords, ce serait le vide entre l'Union européenne et l'Afrique. Cette perspective est doublement catastrophique. En effet, disparaîtrait, avec les accords de Cotonou, le dispositif qui sert de base à l'aide européenne. Et cette aide est encore plus vitale aujourd'hui pour l'Afrique, au moment où la hausse du prix du pétrole entraîne celle des denrées de première nécessité et déclenche partout le mécontentement populaire et la grogne des syndicats. Il est vrai que les experts reconnaissent l'échec des accords de Cotonou et, avant eux, de ceux de Yaoundé et de Lomé, qui les ont précédés. L'objectif était d'augmenter les exportations de l'Afrique vers l'Europe et l'on a abouti au résultat exactement inverse : les exportations de l'Europe vers l'Afrique ont augmenté de 6,5 % depuis 2000, alors que les exportations africaines vers l'Europe se sont très sensiblement détériorées. Mais le système de remplacement que propose l'Union européenne (les Ape) n'est pas acceptable. Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, l'Europe veut changer de partenaire : jusqu'à présent, par une sorte de parallélisme des formes, elle négociait avec l'Union africaine ; désormais, elle entend traiter, distinctement, avec chacune de nos cinq sous-régions. En somme, dès le départ, elle entend mettre en place un système de désintégration, tout en affirmant vouloir renforcer l'intégration africaine. Ensuite, les nouveaux Accords de partenariat économique prétendent démanteler les protections tarifaires et instaurer une parfaite égalité de compétition entre des économies européennes et africaines totalement asymétriques. En clair, cela revient à consacrer et accentuer un déséquilibre de fait et à livrer totalement les marchés africains aux produits européens subventionnés. Non seulement l'industrie africaine n'a pas la capacité et les structures qui lui permettraient de répondre même à une forte demande européenne, mais ce nouveau dispositif de désarmement tarifaire imposé par le libre-échange entraînerait immédiatement d'énormes pertes de recettes douanières pour nos pays : or les recettes douanières constituent entre 35 % et 70 % des budgets des Etats africains. Selon une simulation du Centre d'étude et de recherche sur le développement, entre 2008 et 2015, les pertes de recettes fiscales du Sénégal, si notre pays adopte ce système, passeraient de 38 à 115 milliards de francs Cfa. Récemment, le président du Nigeria, opposé aux Ape, m'indiquait que son pays perdrait près de 800 millions d'euros par an. En somme, on nous invite à annoncer aux populations en guise de cadeau de Nouvel An : "Chers compatriotes, nous venons de signer avec l'Europe un nouvel accord de coopération (sic) qui supprime 35 % de nos budgets. En conséquence, nous allons supprimer des écoles, des dispensaires, des hôpitaux, des projets de routes, licencier des fonctionnaires... en attendant des compensations hypothétiques !" C'est indéfendable. Au demeurant, l'allocation de sommes d'argent ne compense pas des déséquilibres structurels durables. Entre des mesures pour protéger mon économie d'une concurrence destructrice et une somme d'argent, je préfère les mesures de protection ! L'argent se dépense si vite et après ? C'est pourquoi la plupart des pays d'Afrique, à commencer par ceux de l'Afrique occidentale, rejettent ces nouveaux accords, même s'ils demandent des délais pour répondre. Je dis tout haut ce que tout le monde dit tout bas. C'est une question de survie pour nos peuples et nos économies, déjà très éprouvées par les subventions agricoles pratiquées par les pays industrialisés, à hauteur de 1 milliard de dollars/jour et qui jettent, par exemple, les 12 à 15 millions de producteurs de coton dans la misère. Alors évitons-leur le coup de massue ! Les partisans d'une alliance Europe-Afrique devraient donc envisager une alternative, portée par une vision d'avenir et non par une réaction défensive face à l'arrivée de nouveaux concurrents commerciaux asiatiques sur le continent africain. C'est dans cette perspective que je propose, pour ma part, des Accords de partenariat et de développement (Apd) qui englobent et dépassent le cadre strictement commercial. Selon les projections, l'Europe, avec ses faiblesses en termes de compétitivité et de déficit démographique, aura besoin de 20 millions d'immigrants. De son côté, l'Afrique présente des déséquilibres structurels liés à la nature même de son économie. Toutefois, ce continent, dans son ensemble, est pacifié, à l'exception du Darfour et de la Somalie. Les meilleurs analystes pensent que le monde de demain sera dominé par un quatuor Etats-Unis - Brésil - Chine - Inde, qui exclut l'Europe. Avec l'Afrique, l'Europe pourrait faire mentir cette prévision ! De leur côté, isolés, hors de l'intégration continentale, les pays africains n'auront aucune chance. Ensemble, l'Europe et l'Afrique ont des atouts immenses pour bâtir une alliance stratégique, mettant en commun la science, la technologie, le savoir-faire, les capacités financières de l'Europe, le potentiel humain et les immenses ressources naturelles de l'Afrique. Du coup, des problèmes aigus comme l'immigration clandestine massive, simple "produit" d'économies dissymétriques, disparaîtront, car les Africains trouveront des emplois chez eux. Si l'Europe n'a plus que la camisole de force des Ape à nous proposer, on peut se demander si l'imagination et la créativité ne sont pas en panne à Bruxelles. C'est pourquoi je propose les Apd articulés autour des principes suivants :
- dissociation du commerce et de l'aide, qui serait co-administrée ;
- constitution d'un espace mixte qui permettrait des investissements budgétaires de l'Europe en Afrique dans une optique keynésienne ; -
accords entre régions du monde au lieu d'un accord mondial Omc, trop global et donc très réducteur ;

- partenariat Europe-Afrique intégrateur donc global et non parcellisé en 5 accords régionaux, parce que l'Afrique est une continuité géographique ;
- accords sur des produits homogènes : café, cacao, arachide, coton, pêche, produits miniers, manufacturés, etc. ;
- délocalisation industrielle vers l'Afrique : l'Europe ne pouvant pas concurrencer la Chine et l'Inde, pourquoi ne délocaliserait-elle pas en Afrique ses industries qui exportent vers notre continent ? ;
- financement des infrastructures, car si l'Europe ne veut ou ne peut pas le faire, les Chinois le feront plus vite et moins cher ! Les Accords de partenariat et de développement permettraient donc d'instaurer un développement équitable et mutuellement enrichissant. Au total, l'Europe et l'Afrique devraient se forger un destin commun en lançant les fondements d'une alliance objective sur la base de nos complémentarités. La France pourrait, avec le Sénégal, en prendre l'initiative. C'est ce message d'espoir que je compte porter au prochain sommet Europe-Afrique de Lisbonne du 6 décembre.

Me Abdoulaye Wade, président de la République du Sénégal.


Source: le Soleil

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