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jeudi, 26 mars 2015

Vieux Aïdara parle de sa condamnation à 10 ans ferme : "L’histoire a démontré qu’une juridiction d’exception n’est pas faite pour rendre la justice"

Au lendemain de la condamnation de Karim Wade par la Crei pour enrichissement illicite, Vieux Aïdara, qui est considéré comme l’homme de paille du fils de l’ancien président sénégalais, a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique, depuis la France où il vit en exil. 

VIEUX.jpgConsidéré comme un fugitif, Mamadou (dit "Vieux") Aïdara, considéré comme l’un des sept complices de Karim Wade par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), a été condamné le 23 mars à une peine supérieure à celle du principal accusé : dix ans de prison, une amende de 138,239 milliards de FCFA (210 millions d’euros) et la confiscation de tous ses biens. Selon la CREI, qui l’a jugé in absentia, il aurait été l’homme de paille du fils de l’ancien président dans la création de l’entreprise AN Médias, chargée de l’exploitation de la chaîne Canal Info News. Créée en 2005, celle-ci avait repris au Sénégal la diffusion hertzienne de Canal Plus Horizon, qui allait migrer vers le satellite. 
À l’en croire, Vieux Aïdara s’est retrouvé pris au piège d’une juridiction spéciale qui attendait de lui qu’il "charge" Karim Wade sans s’embarrasser de la réalité des faits. Exilé en France depuis décembre 2012, ce Franco-Sénégalais, qui affirme se déplacer librement dans l’Union européenne malgré le mandat d’arrêt international qui pèse sur lui, entend aujourd’hui faire valoir ses droits face à l’État du Sénégal. 

Jeune Afrique : Quelle a été votre réaction en apprenant votre condamnation par la CREI à dix ans de prison ? 


Vieux Aïdara : Ce jugement justifie a posteriori ma décision de quitter le Sénégal en cours de procédure. La CREI, à mes yeux, est une juridiction inquisitoriale qui ne permet pas aux personnes soupçonnées de se défendre. Dès l’enquête préliminaire, les gendarmes m’avaient expliqué que Karim Wade était le véritable propriétaire de AN Médias SA, une société dont j’étais pourtant l’actionnaire avec Cheikh Tidiane Ndiaye. 

Votre ancien associé, avec qui vous êtes en litige, est lui-même à l’origine de cette accusation… 

Je suis effectivement en conflit devant la justice sénégalaise avec M. Ndiaye depuis juin 2007 concernant la répartition du capital d’AN Médias. Je considère que j’en possède 82,5 % ; Cheikh Tidiane Ndiaye en revendique 50 %. Une instruction est toujours pendante sur ce dossier. Dans un tel contexte, ses accusations n’auraient jamais dû être prises en compte par les enquêteurs. De plus, si je suis considéré comme un prête-nom de Karim Wade, il devrait l’être lui aussi. Pourtant la CREI ne l’a pas inquiété. 

Karim Wade a-t-il joué un rôle dans la constitution d’AN Médias ? 

À la demande du président Wade, Karim s’est contenté de favoriser des rendez-vous afin que j’obtienne l’autorisation administrative de lancer Canal Info News. Il m’a aussi mis en rapport avec l’un de ses amis, expert-comptable, pour m’aider à rédiger le bilan prévisionnel. Mais globalement, quand je me tournais vers Karim Wade, il n’avait pas le temps. Le jour où la chaîne a été créée, avec l’aval du président, il n’était même pas au courant. Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’Abdoulaye Wade a aidé financièrement la chaîne lorsqu’elle rencontrait des difficultés. Tout comme il l’a fait pour un certain nombre de médias sénégalais dans la même situation. 

Comment est née l’accusation qui vous présente comme un homme de paille ? 

Le 22 novembre 2012, ma vie a basculé. Un employé de la chaîne m’a appelé ce jour-là pour m’informer que des gendarmes cherchaient à me joindre. Lorsque je l’ai recontacté, l’officier de gendarmerie m’a proposé de passer le voir le lendemain. J’ai préféré y aller le jour-même, sans même savoir pour quel motif. Là, on m’a précisé que j’étais convoqué dans le cadre d’une enquête pour enrichissement illicite. Cela m’a fait sourire car je suis loin d’être riche. "C’est une plaisanterie ?", l’ai-je interrogé. "On a l’air de plaisanter ?", m’a-t-il répondu. 

Que vous a-t-on demandé ce jour-là ? 

On m’a interrogé sur mes relations avec Karim Wade. J’ai répondu que c’était un bon ami mais que cela relevait du cadre privé. On m’a ensuite questionné sur le rôle qu’avait joué Karim Wade dans le montage financier de Canal Infos News. J’ai répondu qu’il n’en avait joué aucun, tout en précisant que le seul soutien que j’avais reçu pour ce projet venait du président lui-même. Malgré moi, je venais de mettre le pied dans le dossier Karim Wade. 
Quelques jours plus tard, vous êtes confronté à votre ex-associé, Cheikh Tidiane Ndiaye… 
J’ai très vite compris qu’il était l’accusateur, et moi l’accusé. J’étais incrédule. AN Médias signifie Aïdara-Ndiaye Médias. Comment l’un de nous pourrait-il être un homme de paille et pas l’autre ? Je l’ai regardé dans les yeux et lui ai dit en substance :" Cheikh, arrête tes conneries ! Là, c’est du sérieux. Tu revendiques en justice 50 % des actions, alors pourquoi dis-tu que la société appartient à Karim Wade ?" 
À la suite de cette audition, l’un des officiers de la gendarmerie m’a appelé sur mon portable pour que je revienne le voir. Il m’a alors expliqué : "En tant que grand frère, je te donne un conseil : en Afrique, quand le pouvoir change, il faut savoir aller dans le sens du vent. Sinon, tu finiras comme un dégât collatéral dans cette histoire." Pour gagner du temps, j’ai répondu que j’allais y réfléchir. 

Est-ce à ce moment-là que vous avez décidé de quitter le Sénégal ? 

Oui. Dès lors qu’un enquêteur me déclare que si je ne vais pas dans le sens souhaité, je risque de devenir un "dégât collatéral", je décide de foutre le camp. Je suis donc parti pour la France le 1er décembre 2012. Dès mon arrivée, j’ai communiqué à cet officier mes coordonnées et lui ai indiqué que je me tenais à sa disposition s’il souhaitait des précisions. Nous avons communiqué à plusieurs reprises par courriel pour les besoins de l’enquête. 

Vous considérez-vous comme un "dommage collatéral" ? 

Non, car à compter d’aujourd’hui, je vais me battre contre l’État du Sénégal. Je compte notamment saisir le président français. J’ai été spolié, puisque le matériel d’AN Médias – qui a été saisi – m’appartient personnellement, via une société unipersonnelle. Si mon investissement n’est pas sécurisé au Sénégal, cela signifie qu’une juridiction d’exception peut s’accaparer les investissements d’un citoyen français au prétexte qu’il était l’ami d’une personnalité accusée d’enrichissement illicite. Je vais également saisir les instances européennes. Le Sénégal ne peut passer son temps à solliciter les investissements privés et agir de la sorte. 

Ne risquez-vous pas de vous voir opposer votre décision de vous être soustrait à la justice d’un État de droit ? 

L’histoire a démontré qu’une juridiction d’exception n’est pas faite pour rendre la justice. Je n’ai nulle confiance en la CREI, qui est faite pour assouvir des règlements de comptes. Si tel n’était pas le cas, on m’aurait laissé tranquille dès l’enquête préliminaire