Aux USA, des jeunes mères fêtent leur accouchement en cuisinant puis en consommant leur propre placenta. Sociopathes ou visionnaires ? Par Marlène Schiappa
La maternité est un univers baigné de dogmes tous plus farfelus les uns que les autres. Ainsi, entre diverses injonctions – parfois contradictoires, et variables d’une année à l’autre – issues du Manuel de la Meilleure Mère du Mois (« Accouche allongée (mais sans pousser) ! Fais tes purées toi-même (mais achète un BabyCook quand même) ! Allaite ton enfant jusqu’à sa majorité (sauf dans la rue) ! Inscris-le à 47 activités et dans une école bilingue privée (mais ne le gâte pas trop) ! Retourne travailler trois jours après (mais ne compte pas sur une place en crèche) ! Le tout en étant toi-même une femme indépendante et désirable (mais un peu soumise quand même) ! »), il faut faire preuve d’une bonne dose d’imagination pour parvenir à nous étonner encore. Et pourtant… cette pratique que l’on pourrait qualifier de « nouvelle tendance » ne manquera pas de vous surprendre. Il s’agit tout simplement de manger son placenta peu après avoir accouché.
Jamais sans mon placenta
C’est le très sérieux New-York Times qui, le premier, a braqué les projecteurs le mois dernier sur cette pratique – pourtant ancienne. D’après le magazine, aux Etats-Unis, ingurgiter son placenta serait monnaie courante. Christine Lewicki, business coach et auteure du célèbre « J’arrête de râler« , est une Française expatriée à Los Angeles. Si elle-même ne se voyait pas le manger, elle a déjà côtoyé cette pratique et nous confirme qu’elle n’est pas rare : « Je connais plusieurs mamans qui ont mangé leur placenta ; une amie a préparé une soupe pour ma voisine, une autre amie a donné son placenta à une pharmacie chinoise qui l’a séché et en a fait des capsules : dedans, il paraît qu’il y a toutes les vitamines nécessaires pour se remettre de la grossesse. »
Utiliser son placenta n’est pas une nouveauté. Dans certaines cultures, on ne mange pas le placenta mais on l’enterre. Ainsi Christine Lewicki a opté elle-même pour cette solution : « Je l’ai mis sous un arbre, en l’honneur de ma fille. J’ai bien aimé le rituel de le mettre dans la terre. Le plus surprenant a été de voir l’herbe toute verte autour de l’arbre ». Anne, agricultrice près de Chartres, a aussi enterré ses placentas : « J’ai accouché à domicile, il était donc facile pour moi de les conserver. Pour chaque grossesse, mon mari a enterré le placenta des filles sous un arbre ; chacune a donc son arbre dédié… C’est un souvenir, un hommage à Mère Nature » argumente la jeune mère. A l’hôpital, en revanche, il s’avère plus difficile de repartir, après le séjour à la maternité, son propre placenta sous le bras…
Cannibalisme, anthropophagie ?
Nos compatriotes françaises semblent, elles, assez réticentes. Impossible de trouver une mère ayant déjà dégusté du placenta et acceptant de témoigner, malgré nos recherches auprès d’associations et de forums divers et variés. Au contraire, les réactions sont assez prudentes, voire moqueuses, évoquant le cannibalisme et demandant si l’on doit préparer une sauce tartare pour l’accompagner, le manger avec les doigts dès la naissance ou l’agrémenter de frites fraîches. Alors, les mangeuses de placenta sont-elles des Hannibal Lecter en puissance ? Que nenni, si l’on en croit le Larousse qui rappelle la définition du cannibalisme : « Action de manger un être de son espèce ». Comme se ronger les ongles, grignoter ses cheveux et avaler ses cuticules, manger son placenta est donc, certes, peu ragoûtant, mais pas fatalement pathologique pour autant.
Pour le Dr Lévy, psychiatre, utiliser son placenta dans le cadre de coutumes ancestrales n’a rien de pathologique : « Ce qui pose question en revanche, ce sont ces femmes issues de cultures occidentales et qui veulent choisir ce qu’elles font de leur placenta. Il y a une volonté de contrôle absolu, le manger étant une façon de se re-remplir le ventre après l’expulsion du bébé : ce qu’il faut se demander, c’est pourquoi c’est insupportable pour ces femmes de quitter leur placenta ? Et ce qu’elles attendent en mangeant un placenta : une forme de toute-puissance maternelle, peut-être… ? » En tout cas, après la glace « BabyGaga » à base de lait maternel, la tendance « Mangez-moi, je suis maman » semble bien présente.
« Tous les mammifères le font »
Les femmes placentavores interrogées par la presse américaine et témoignant sur des forums spécialisés avancent toutes des arguments similaires : « Manger son placenta, c’est naturel, les autres mammifères le font ». Dans Le Dictionnaire du diable, Ambrose Bierce célèbre pour son amour de la provocation définissait ainsi les mammifères : « Mammifères : famille d’animaux dont les femelles allaitent naturellement les petits ; mais dont la version instruite et civilisée utilise une nourrice ou un biberon. »
Une manière volontairement agressive et contestable de dire que non, nous ne sommes pas obligées de nous conformer aux pratiques de nos amis les bêtes. Sinon, à quand l’épouillage collectif en public ou le coït en guise de salutation : après tout, si des mammifères le font… ?
Marlène Schiappa © Pampa Presse