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jeudi, 17 septembre 2009

Belgique:"On humilie publiquement les profs"

Marc, prof de français, n'accepte pas qu'on dise que les enseignants pourraient travailler plus. Il raconte son métier. Enthousiasmant mais dur.

Il a la quarantaine, est prof de français/histoire dans le secondaire supérieur depuis plus de quinze ans, dans une école libre du Brabant wallon, une boîte sans histoire. On l’appellera Marc. "J’ai beaucoup de chance, j’adore mes classes. C’est d’ailleurs ce qui me fait rester dans le métier." De l’enthousiasme à revendre mais, déjà, une pointe d’amertume dans le propos. C’est que notre homme n’a pas vraiment apprécié l’idée de sa ministre de faire travailler les enseignants "plus et plus longtemps" pict_193890.jpg.

La suppression de la possibilité d’arrêter à 55 ans ? "C’est le genre de mesures qui étaient plus ou moins attendues. Dans toutes les professions, on parle de reporter l’âge de la pension. Mais c’était une mesure intéressante, et beaucoup en ont profité, ce qui démontre le côté pénible du métier, et le climat ambiant dans l’enseignement." Et l’idée d’augmenter l’horaire hebdomadaire des profs du secondaire ? "Là, je ne comprends pas la stratégie de la ministre, balance Marc. La pénurie est là. On peine à trouver des enseignants dans certaines branches. Je ne vois pas comment on va combler les places vides en rendant le métier encore plus difficile."

Mais ce métier est-il si difficile que ça, au fond ? Après tout, à lire les forums sur Internet qui évoquent leurs vingt heures/semaine et leurs deux mois de congé en été, enseigner serait le métier le plus cool au monde. "Un jour, rétorque Marc, quelqu’un a répondu : "Non, le plus beau métier, c’est présentateur de JT. Il ne travaille que trente minutes par jour." C’est exactement ça. On ne voit pas tout le travail qu’il y a derrière." Plus sérieusement, Marc déplore que l’enseignant d’aujourd’hui est moins bien considéré par les élèves ("ce n’est pas la profession qui a le meilleur salaire") et par leurs parents ("n’en parlons même pas"). "Alors, maintenant, le politique qui sous-entend qu’on a la possibilité de travailler plus, c’est insupportable. On nous humilie publiquement."

 

C’est que, à côté des prestations devant les élèves, tout un travail s’effectue dans l’ombre. Il y a d’abord les préparations. "Les élèves sont de plus en plus exigeants, c’est la société du zapping. Il ne faut pas croire qu’ils vont accepter un cours qui a vingt ans. Ils verront tout de suite si on n’a pas préparé."

Il y a, ensuite, les corrections. "Celui qui ne sait pas ce que ça représente n’a qu’à prendre un paquet de trente dissertations un vendredi, à corriger pour le lundi. Son week-end sera bien occupé !" D’autant que, à en croire Marc, le public scolaire a beaucoup changé. "Il a grandi avec MSN, les chats, les SMS. Corriger une feuille de français, aujourd’hui, me prend le double de temps par rapport à il y a quinze ans. C’est truffé de fautes. Même pour les interros, je fais souvent une première lecture pour corriger l’orthographe. Dans certains cas, c’est presque phonétique." Et comme le nombre d’élèves par classe n’a pas diminué "Quand j’ai commencé à enseigner, en 4 e générale, on disait que chaque élève au-dessus de vingt comptait double, pour le bruit, la gestion de la classe. Aujourd’hui, 25 élèves, c’est courant. On ne relève même plus. En 5 e et 6 e générale, on est souvent entre 25 et 30. Et les élèves d’aujourd’hui sont plus spontanés, plus remuants. Plus vivants, diront certains, ce qui est une bonne chose, mais en attendant, il faut quand même les gérer."

Il y a également les lectures. "Parce que les jeunes demandent qu’on leur donne un avis sur ce qui se passe dans le monde." Et le titulariat : "Les heures qui y étaient consacrées faisaient partie de l’horaire du titulaire. Elles ont disparu." Et le bénévolat, les fancy fairs

 

Il y a, enfin, la coordination, qui a pris beaucoup d’importance avec la pédagogie des compétences. Les compétences, voilà bien un sujet sur lequel Marc est intarissable. "Comme récompense des grèves des années 90, on a été sanctionné par le décret missions." Un décret de 1997, qui a notamment prévu les compétences que les élèves sont censés acquérir. "Même si elles partent d’une très bonne intention, ces compétences sont difficilement applicables sur le terrain. Elles constituent une charge de travail supplémentaire et nécessiteraient des groupes classes plus réduits. Dans les branches littéraires, par exemple, cela implique beaucoup plus de productions écrites, et donc de corrections. Le travail se fait davantage par projets. Les élèves élaborent des dossiers, qu’il faut corriger en fin de trimestre, alors qu’on a diminué fortement le temps de correction (les fameux jours blancs, NdlR). Si on veut garder la tête hors de l’eau, on doit corriger en triple vitesse, on a l’impression d’un travail bâclé, ce qui laisse un goût amer." Bref, avec les compétences, "on a des exigences de plus en plus grandes en termes de corrections et de préparations, mais on a moins de temps pour le faire correctement. On a l’impression qu’on nous sabote, qu’on nous met volontairement devant une tâche impossible".

 

Une tâche encore plus difficile pour les jeunes enseignants. "Je connais un jeune prof d’éducation physique qui, en montrant un exercice à ses élèves, est tombé sur les crachats de ses élèves sur les espaliers. Il y a des situations vraiment difficiles. Comment ces jeunes peuvent-ils rester dans l’enseignement ? On ne sait pas tenir toute une carrière comme ça." Sans aller jusqu’à ces cas extrêmes, la situation des jeunes profs n’est guère enviable. "Ils sont dans l’incertitude. Chaque année, ils doivent attendre la fin août quasiment pour savoir s’ils sont engagés ou pas. S’ils en ont l’occasion, beaucoup partent vers le privé." Alors, évidemment, l’idée d’augmenter les horaires des profs n’est pas pour les rassurer. "Il ne faut pas être grand mathématicien pour comprendre que, si on donne deux heures de plus à chaque prof nommé, cela fera un paquet d’heures à retirer à des jeunes qui sont dans l’enseignement depuis trois, quatre ou cinq ans."

On le voit, les propositions du gouvernement Olivier ne sont pas près de passer auprès des profs. "Je trouve sain que les enseignants réagissent. Cela montre l’attachement au métier." "Et puis, conclut Marc, les enfants passent leurs journées à l’école. Les mettre devant des gens démotivés, écœurés, c’est catastrophique pour eux." Comme beaucoup de ses collègues, Marc n’est pas seulement enseignant. Il est aussi parent.