mardi, 25 août 2009
Les Afghanes, un pas en arrière
La tenue d’élections en Afghanistan illustre les progrès réalisés par ce pays en matière de démocratie, mais pour les femmes, les présidentielles et provinciales de jeudi dernier pourraient s’avérer un pas en arrière. La participation féminine a nettement plus reculé que celle des hommes, selon les observateurs, qui y voient le résultat des menaces des talibans, de la mort de femmes qui participaient à l’organisation des scrutins et de la fermeture de centaines de bureaux de vote réservés aux femmes. Certains craignent que le phénomène n’accentue le manque d’intérêt du nouveau gouvernement pour la situation des femmes, déjà largement tenues à l’écart de la vie publique du fait du conservatisme culturel et religieux.
De nombreuses Afghanes sont à la fois effrayées et désabusées, comme Kulsoom Bibi, la quarantaine, qui habite à Kandahar, berceau et bastion des talibans dans le sud du pays. "Les roquettes ont commencé à tomber tôt le matin et elles ont continué jusqu’à la nuit", explique-t-elle. "Le gouvernement n’a rien fait pour les femmes et il y a beaucoup de problèmes de sécurité. Voilà pourquoi je n’ai pas voté."
Aller aux urnes a été d’autant plus difficile pour les femmes qu’au moins 650 bureaux de vote qui leur étaient réservés sont restés fermés, selon la Fondation pour des élections libres et régulières en Afghanistan, principale organisation indépendante d’observation.
Dans la province méridionale de l’Ourouzgan, seuls six des trente-six bureaux de vote pour femmes ont ouvert, en partie parce que les autorités n’ont pas trouvé de femmes pour les tenir. Dans certaines circonscriptions, "des femmes sont venues au bureau de vote, n’ont pas trouvé d’employées féminines et sont reparties sans voter", explique Nader Nadery, qui dirige la Fondation.
Les observateurs de l’Union européenne ont constaté que le manque de sécurité renforçait la discrimination envers les femmes, dont la plupart ne peuvent sortir sans être entièrement dissimulées aux regards par la burqa et sans être accompagnées par un homme.
"Le manque de sécurité pour les personnes [ ] a affecté les femmes de façon disproportionnée et conforté l’opinion de nombreuses familles et communautés selon laquelle il n’est pas correct pour une femme d’avoir une activité hors du foyer", a noté la mission de l’UE.
La condition des Afghanes a pourtant beaucoup progressé depuis le renversement du régime taliban par l’invasion conduite par les Etats-Unis fin 2001. Aujourd’hui, des millions de filles retournent à l’école et des femmes exercent des fonctions électives.
Mais avec le retour de l’insurrection talibane ces dernières années, particulièrement dans le Sud et l’Est, la situation des femmes s’est de nouveau dégradée et elles sont fréquemment menacées, selon les autorités afghanes. Des femmes influentes ont été assassinées.
Et même le gouvernement se montre rétrograde, avec des mesures comme une loi qui semblait légaliser le viol conjugal. Le texte a soulevé l’indignation internationale et a été révisé, mais des défenseurs des droits de la femme estiment que la nouvelle version est loin d’être parfaite.
Heureusement, dans le Nord, relativement sûr, la participation féminine a été forte le 20 août. Et de nombreuses femmes ont bravé la réprobation morale et les menaces de mort pour se présenter aux élections. Deux ont brigué la présidence, et 333 des sièges aux conseils provinciaux, contre 242 en 2005, selon l’UE. Toutefois, la proportion de candidates a diminué dans 14 des 34 provinces.
Pour Haroun Mir, directeur du Centre de recherche et d’études politiques d’Afghanistan, le nouveau gouvernement, constatant la faible participation féminine aux élections, se contentera probablement de nommer une poignée de femmes à des postes symboliques. "Les femmes sont éparpillées, elles n’ont pas de voix collective. Je suis pratiquement sûr qu’elles n’auront aucune influence ni aucun moyen de peser", explique-t-il.
Les efforts en faveur de la participation féminine aux élections ont été "trop faibles" et sont venus "trop tard", estime Rachel Reid, chercheuse pour Human Rights Watch (HRW) en Afghanistan. "Les candidats à la présidentielle étaient plus susceptibles de mettre en avant leur capacité à négocier avec les talibans qu’à protéger les droits des femmes", déplore-t-elle.
Les femmes doivent renforcer leur pouvoir de pression pour obtenir davantage de postes au gouvernement, insiste Shinkai Karokhail, députée à Kaboul, qui souligne que de nombreuses Afghanes sont allées voter malgré les menaces. (AP)
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