vendredi, 18 juillet 2008
Obama : une vision neuve de la nation américaine
Barack Obama s’est longuement exprimé le 18 mars, à Philadelphie, sur le thème de l’identité nationale et du racisme aux Etats-Unis. Il a offert à ses concitoyens une réflexion puissante sur leur histoire et leur identité, dans un discours qui fera date.
Candidat démocrate noir à la présidentielle, le sénateur Barack Obama s’est longuement exprimé le 18 mars, à Philadelphie, sur le thème de l’identité nationale et du racisme aux Etats-Unis. Ce discours a été tenu dans le contexte passionnel d’accusations portées contre le révérend Wright, pasteur de l’église de Obama à Chicago : ce dernier, comme nombre de révérends noirs en colère, a tenu des prêches haineux contre l’Amérique raciste. Pour une opinion traumatisée par le 11 septembre 2001, ces propos insultants sont un acte de guerre. Obama se devait de réagir. Se démarquer du pasteur Wright ? Regagner la confiance de l’électorat en demandant pardon ? C’eût été un geste électoral. Obama n’a pas "réagi" : il a agi.
Il a offert à ses concitoyens, une réflexion forte, lucidité et espoir mêlés, sur leur histoire et leur identité.
Entouré de six drapeaux américains, Obama a raconté l’histoire tragique de la communauté nationale américaine, en dépit du désir des Pères Fondateurs d’échapper à la tyrannie. Cette libération resta inachevée, la constitution de 1787 a laissé de côté les esclaves noirs. Il y eut la Guerre de Sécession des années 1865 entre états esclavagistes du Sud et un Nord qui refusait l’esclavage. Le Sud esclavagiste fut vaincu. Mais l’émancipation des esclaves, annoncée par Lincoln en 1863, n’a pas mis fin à la ségrégation ; c’est avec la présidence de Johnson, après l’assassinat de Kennedy, que "l’émancipation" passe petit à petit dans les faits.
Obama a poursuivi, inscrivant l’histoire de sa vie en celle des Etats-Unis : un père noir Kenyan, une mère blanche du Kansas, une enfance guidée par la grand-mère blanche, un mariage avec Michelle, noire, descendante "des esclaves noirs et des propriétaires d’esclaves" ! (sic). Obama, avec cette seule phrase, sa femme descendante des noirs esclaves et des blancs qui les emploient, rappelle une histoire de "dominants / dominés" dans son pays. En dépit de ces origines, il est promu à la position de candidat présidentiel. Une telle histoire, affirme-t-il, n’est possible nulle part ailleurs qu’aux Etats-Unis.
Obama a pris position, clairement. Il condamne Wright pour ses propos "de division ". Mais au-delà, il cherche à comprendre.
Il situe ces sermons dans le contexte de la colère, "black anger", des Noirs des années 1960 qui ont entendu le rêve de Martin Luther King et grandi dans la frustration. S’il entend la colère des Noirs, il mesure aussi le ressentiment des Blancs, des Blancs pauvres et de classe moyenne qui supportent mal les obligations de la politique de "discrimination positive" ("affirmative action" en anglais) qui impose des quotas de recrutement de Noirs, aux dépens de ces Blancs évincés. Pour réparer les torts passés, des candidats noirs sont préférés aux blancs. En fait, les uns et les autres sont frappés par la loi du profit qui délocalise les emplois. Sa vie à lui, en cette histoire de société ? C’est sa grand-mère blanche qui, en dépit de son amour pour lui, avait peur des Noirs… Une grand-mère blanche, un pasteur noir, tel un double, sont l’un et l’autre dans la vie d’Obama.
Le message pour le présent : ouvrir les yeux sur ces fractures raciales, et au-delà, comprendre que les défis contemporains supposent l’union : le terrorisme, les mutations climatiques, la globalisation… Obama n’est pas dans la rhétorique. Le passé n’est pas passé, dit-il : racisme sans ségrégation autorisée, honte, persistent. De manière passionnée et contenue, il demande de choisir. Refuser de voir et de construire la nouvelle époque d’une nation unifiée, qui est plus que la somme des communautés. Ou, comprendre l’urgente nécessité du dépassement. Ce changement suppose de ne plus accepter des écoles de niveau inférieur pour les Noirs, Hispaniques, Asiatiques, de ne plus accepter de voir les salles d’attente d’urgence des hôpitaux dépourvus de moyens, peuplées de Noirs et d’Hispaniques…
Le moment Obama à Philadelphie va entrer dans les temps forts des espoirs américains.
Le démocrate noir / blanc a posé la question centrale que les Etats-Unis se devraient (comme d’autres nations) d’affronter : celle de leur nouvelle et future identité. Seule cette mutation identitaire permettra la reconversion du leadership des Etats-Unis. Cette même mutation s’impose pour corriger les fractures sociales. Le discours de Philadelphie va entrer dans la trame des temps forts des espoirs des Américains… Il y avait un risque : celui de faire froncer les sourcils des extrémistes blancs ou noirs. Obama a assumé. Il est possible qu’il ne soit pas entendu. Mais il est aussi fort probable que, dans les tréfonds de leur intimité, nombre de citoyens américains seront dérangés.
Le discours de ce démocrate ébranle. Il pose la question de l’identité nationale américaine et du projet de cette puissance minée par la colère et le ressentiment. Pour nous européens qui ne portons pas cette arrogance et contrainte de l’hyper puissance, l’entendre devrait engendrer une réflexion sur le racisme de nos sociétés. Peut-être Obama est-il venu trop tôt dans la vie politique américaine. A moins qu’il n’arrive déjà trop tard pour une nation déchirée. Il reste que Barack Obama, c’est une voix qu’il faut désormais méditer.
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